Tribune d'Information sur le Rwanda

Rwanda: Prince Antoine Nyetera raconte sa vie…

Antoine Nyetera est d�c�d� le 14/09/2012. Il �tait en train d’�crire un livre. Dans le prologue intitul� “C’�tait comme �a!”, il retrace sa vie et donne sa vision sur le Rwanda d’hier et d’aujourd’hui. Ci-apr�s un extrait.

Quand, � l��ge de 3 ans, je voyais deux servantes (hutu) � c�t� de ma m�re ; l�une se levait vers 5 heures du matin pour nettoyer la maison, la cour int�rieur (inzu n�urugo) et l�ext�rieur (umuharuro), apr�s ce nettoyage de toute la parcelle, elle allait s�occuper du grand nettoyage de l��table : enlever la bouse de vaches, nettoyer les petites cases pour les veaux (ibiraro by�inyana) l�autre fille en train de laver les ustensiles de cuisine, les assiettes en bois et en m�tal �maill�, les pots � lait, les gobelets en m�tal �maill�. Mes grandes s�urs, avant d�aller � l��cole, aidaient les deux servantes, et tout devait �tre fait avant 7 heures du matin, car les passants ne devaient pas voir les filles en train de faire ce nettoyage. C��tait comme �a !
La jeune servante qui s�occupait de ce travail de nettoyage n�habitait pas dans la maison. Elle venait tr�s t�t le matin ; apr�s cette t�che, vers 8 heures elle retournait chez elle. La deuxi�me dormait dans notre maison, dans la case r�serv�e aux filles. Elle devait rester tout le temps avec ma m�re pour l�aider dans menues occupations : propret� de la maison, pr�parer le lait � servir, pr�parer la nourriture et la servir et mettre le lait destin� � faire du beurre dans des grands jarres, tresser la vannerie etc. Quant le lait �tait suffisamment caill�, il faut le mettre dans des barattes (ibisabo) et le tourner pendant une heure, sans arr�t, jus qu�� ce que le beurre se s�pare du petit lait �cr�m� que l�on distribuait aux gens pauvres qui n�avaient pas de lait chez eux. C��tait comme �a.
La servante permanente, apr�s le nettoyage int�rieur, s�occupait de moi ! Elle me lavait tout le corps et m�habillait. Quand elle �tait tr�s occup�e, c�est ma m�re qui me lavait et m�habillait et me servait du lait caill�. Me voici pr�t � jouer avec les enfants des voisins, filles et gar�ons : hutu et twa. Mon p�re m�avait toujours dit que tous les enfants �taient �gaux, nous mangions ensemble, nous faisions la sieste ensemble. Mais en grandissant, les chemins se s�paraient. C��tait comme �a.
Quand j�ai atteint l��ge de scolarisation, � 6 ans, la servante me pr�parait tr�s t�t pour aller � l��cole. Mes deux s�urs et grand fr�re savaient se pr�parer tout seuls. Nous allions tous ensemble � l��cole. Vers 12 heures un serviteur venait me chercher � l��cole pour rentrer, mes s�urs et mon fr�re rentraient � 14 heures.
Quant mes s�urs et mon fr�re sont all�s dans une autre �cole pour commencer la 3�me ann�e primaire, je suis rest� dans la petite �cole : pr�-primaire, 1�re ann�e et 2�me ann�e. En ce moment, c��tait le petit serviteur qui m�accompagnait � l��cole et me ramenait � la maison, parfois il m�apportait � boire � l��cole. Je ne me suis jamais pos� la question pour quoi le gar�on hutu n�allait pas � l��cole, alors que d�autres gar�ons y allaient ? Simplement parce qu�il devait garder nos vaches. C��tait comme �a.
Parmi nos serviteurs, il y avait un qui dormait � la maison, un gar�on de 16 ans. Il devait se lever tr�s t�t le matin pour aller puiser de l�eau � la source naturelle (iliba) qui se trouvait � une distance d�� peu pr�s de 500 m�tres, avec une cruche de 15 � 20 litres sur la t�te. Il faisait deux � trois tours le matin, une ou deux fois vers le soir. Le jour de pr�paration de bi�re de sorgho ou du vin de bananes, il devait faire cinq � six tours. Il devait laver les marmites. Ma m�re lui disait alors ce qu�il fallait cuire pour la journ�e ; il cherche le bois de chauffage, s�il n�y a pas � la maison, il va le chercher � l�ext�rieur ; il allume le feu, met les aliments dans la marmite et la d�pose sur l��tre. Ma m�re n��tait pas loin pour v�rifier s�il a mis suffisamment de l�eau et du sel.
L�autre serviteur qui ne dormait pas dans notre maison, arrivait tr�s t�t � la maison. Il �tait l� vers 6 heures du matin. Il savait ce qu�il devait faire : faire sortir le b�tail de l�enclos, derri�re la case principale (kambere), la secondaire (kagondo) et la cuisine ; le b�tail va brouter tout pr�s de l�enclos pendant une heure au moins, puis commen�ait � traire les vaches, lorsqu�il s�agissait de traire 5 ou 6 vaches, le cuisinier allait donner un coup de main; parfois m�me la jeune servante allait tenir les veaux au moment de la traite et ramener le lait dans la maison. Pourquoi pas mes fr�res et s�urs ? Ils sont � l��cole, le soir les filles aidaient la servante et le cuisinier � pr�parer et dresser la table. Je n�ai jamais essay� de traire les vaches, les apr�s-midi j�allai surveiller les veaux qui broutaient aux alentours de l�enclos. C��tait tout naturellement comme �a.
Apr�s la traite, le berger va conduire le b�tail au p�turage, il laisse le b�tail au p�turage pour aller manger soit chez lui, soit chez nous ; on lui donnait du lait. Le soir, il fait rentrer le b�tail, le feu de paille est d�j� allum� dans l�enclos du b�tail, la servante a d�j� pr�par� les gerbes d�herbes fra�ches (icyalire) qui sert de couchage pour ces animaux et que l�on rempla�ait tous les trois jours. C�est le moment de la traite du soir. M�me chose que pour le matin. Le berger ferme l�enclos du b�tail avec des bois superpos�s pour que le b�tail ne sorte pas la nuit ou qu�un voleur ne vienne les d�rober. Avant de rentrer chez lui, le berger boit de la bi�re r�serv�e aux gardiens de bovins � inzoga y�abashumba �.
Me voici � l��cole des grands, ce qu�on appelle le 2�me cycle primaire : 3�me, 4�me, 5�me ann�e et 6�me ann�e, c�est � la Mission (Paroisse) qu�on doit aller. J�avais 10 ans. Il fallait quelqu�un pour m�accompagner jusqu�� l�endroit o� je devrais rencontrer des camarades de la m�me colline. Nous devrions faire au moins 1 heure et demi de marche jusqu�� l��cole. Pour la troisi�me ann�e, l��cole terminait � 11h30. Il fallait quelqu�un qui devrait venir m�attendre � la sortie de l��cole.
Parmi les 4 personnes en permanence chez nous, 2 d�entre elles �taient li�es par le contrat de servage pastoral (ubuhake [..]). Les autres se trouvaient pour �chapper aux corv�es. Je tiens � pr�ciser que les sous-chefs disposaient de plus de 6 serviteurs (bagaragu) en permanence. Le chef avait davantage, celui-ci avait 2 pour 3 personnes qui l�accompagnaient lorsqu�il se d�pla�ait, plus un messager qui devrait �tre toujours pr�t � �tre envoy� � tel et endroit pour remplir la commission. C��tait comme �a.
En plus des quatre personnes dont cit�es ci-dessus, mon p�re avait 2 personnes, par fois 3 ou 4 qui cultivaient pour lui deux jours par semaine. Ces personnes �taient pr�lev�es sur le nombre de ceux qui devaient cultiver chez le chef. Etant entendu que pour b�n�ficier de ces cultivateurs gratuits, il fallait �tre parent ou fr�re du chef ou du sous-chef.
Apr�s la classe de l�avant-midi, nous rentrions pour manger, et retourner � l��cole � 13h.30. Apr�s la classe de l�apr�s midi, nous restions dans la cour pour attendre un grand s�minariste qui devait nous occuper, � nous apprenant des chants, servir la messe, quelques le�ons de fran�ais, divers jeux, initiation au th��tre, etc., pour rentrer vers 18 heures. Les enfants hutu et de simples tutsi rentraient apr�s la classe. Ils faisaient entre 1 heure et 2 heures de marche tous les jours.
Nous �tions les privil�gi�s, quant bien m�me mon p�re n��tait plus sous-chef. Il �tait quand-m�me tutsi ayant la parent� avec notre chef du Nduga, Kanimba Athanase. C�est en 1950 que mon p�re a �t� nomm� Juge-assesseur par le roi Mutara III Rudahingwa, au Tribunal de chefferie jusqu�apr�s la R�volution 1959. C��tait comme �a aussi.
Malgr� notre statut de privil�gi�s, les enfants hutu avaient d�excellents r�sultats � l��cole, mais rares �taient ceux qui acc�daient au secondaire. Les plus intelligents allaient, soit au petit s�minaire, soit � l��cole des moniteurs. Nos enseignants de la 4�me, 5�me et 6�me ann�e �taient des Hutu et des Tutsi qui ont fait soit le petit s�minaire, soit l��cole des moniteurs.
Je ne me suis jamais pos� la question de savoir pourquoi mes camarades tr�s intelligents n�allaient pas tous au secondaire, surtout au Groupe-Scolaire, alors que ces fils de chefs et sous-chefs, m�me les plus m�diocres faisaient leurs �tudes secondaires ! Il faut aussi se rappeler qu�� cette �poque il n�y avait pas beaucoup d��tablissements secondaires, d�autant plus que tous les enfants qui entraient au secondaire restaient � l�internat, parfois sans minerval. Mais cela n�explique pas pourquoi ces jeunes Tutsi devraient �tre majoritaires dans le secondaire. C��tait comme �a !
Chez l�Abb� Alexis Kagame
De son retour de Rome apr�s ses �tudes de Philosophie, options d�Histoire et Linguistique, Mgr Alexis Kagame fut membre associ� de l�Institut de Recherche Scientifique en Afrique Centrale (IRSAC). Il me connaissait quand j��tudiais au Noviciat de Kabgayi. Il connaissait �galement mon p�re qui �tait un grand po�te. Alexis Kagame s�est inform� aupr�s de mon p�re pour avoir mes nouvelles ; mon p�re lui dit que j�ai quitt� le Noviciat. Mgr Kagame m�a tout de suite cherch� et engag� en octobre 1956 comme son collaborateur. Je fus initi� aux m�thodes de la recherche sur l�histoire de l�Afrique des Grands Lacs, sp�cialement du Rwanda, ethnologie, litt�rature (po�mes, contes et l�gendes), les us et la coutume, la g�n�alogie de certaines personnes qui ne figuraient pas dans le livre du P�re Delmas.
Apr�s moi, il a engag� encore trois autres collaborateurs, nous formions une �quipe de quatre jeunes secr�taires-enqu�teurs et un chauffeur, tous Tutsi. Nous �tions pay�s et log�s par l�IRSAC. Par apr�s il engagea un Hutu nomm� Munyampama Claver qui venait de terminer trois ann�es de philosophie au grand s�minaire de Nyakibanda. Il travailla quatre mois seulement� C��tait comme �a !
J�accompagnais souvent Mgr Kagame lorsqu�il rendait chez le roi, m�me � Bujumbura o� se tenait le Conseil G�n�ral du Ruanda-Urundi qui avait lieu chaque ann�e, pr�sid� par le Vice-Gouverneur G�n�ral en personne. Les deux � bami � rois, Mutara III du Rwanda et Mwambutsa IV du Burundi �taient d�office membres de ce Conseil, ainsi que certains chefs et quelques personnalit�s europ�ennes ainsi que les �v�ques et notables Rwandais et Burundais choisis par le V.G.G. Mgr Alexis Kagame �tait �galement membre de ce Conseil G�n�ral. Joseph Habyarimana-Gitera figurait parmi les notables � raison de ses tendances politiques. Les d�bats �taient publics ; j�y assistais en tant qu’observateur.
Au moment des revendications hutu, en 1957, les tracts et les articles circulaient dans les journaux : Kinyamateka, Temps Nouveau, Soma ainsi que dans les journaux �trangers. Mgr A. Kagame s�int�ressait beaucoup � la politique du pays ; il voulait toujours savoir nos opinions � propos de ces �crits et les rumeurs. Je n�avais aucune opinion � donner. Mais un jour je lui ai pos� la question � propos des revendications hutu : pour quelles raisons les Hutu n��taient pas chefs ou sous-chefs ? Kagame me regarda quelques minutes avec un air tr�s soucieux � �tonn� m�me, et me dit : � Je me suis moi-m�me pos� cette question ; il faut chercher la r�ponse chez Mutara III. Le Rwanda entre dans un grand tournant dont je ne sais comment il va en sortir ! � [�]
Mgr Kagame �tait royaliste tr�s influent, il avait �t� promu au grade de grand d�positaire du Code �sot�rique. Au moment du grand tournant historique comme il le disait, il s�entretenait souvent avec Joseph Habyarimana-Gitera. Celui-ci sortait du bureau de Kagame en souriant, c��tait sa nature, le contraire de Kayibanda. Kagame me disait que Gitera �tait un peu fou, parce que trop direct, avec une franchise et une confiance qui frisent la na�vet�. Il ne connaissait pas la mani�re tutsi d�accepter sans �tre d�accord, de donner sans l�cher. [�]
Lorsque Gitera s�est attaqu� au tambour-embl�me de la monarchie, les Tutsi ne l��coutaient plus, il devint leur ennemi n�1. Si ces derniers avaient bien compris la pens�e de Gitera, ils n�auraient pas d� s�en prendre � lui � cause du tambour, parce qu�en r�alit� les Hutu ne voulaient plus que ce tambour, orn� des d�pouilles de leurs anc�tres, repr�sente la monarchie. Ils ont r�agi si violemment � cause du tambour � Karinga �. Id�ologiquement le � Karinga� � symbolisait la d�faite des Hutu et la domination tutsi. Evidemment il n�y avait pas que le tambour. Il fallait aussi la d�mocratisation des institutions qui devait aboutir au partage du pouvoir.
L�abolition du servage pastoral avait donn� un coup dur � la classe tutsi ; on ne peut pas s�imaginer combien le Tutsi qui n�a jamais mani� la houe allait apprendre ce m�tier � l��ge de 40 ou 50 ans ! Le Tutsi qui n�a jamais gard� ses vaches allait rester toute la journ�e derri�re 3 ou 4 vaches en m�me temps cultiver son champ ! Si mon p�re n�avait pas trouv� la place de juge-assesseur au Tribunal de chefferie, je ne vois pas comment il allait s�en sortir. C�est avec son salaire qu�il parvenait � payer le gardien de son b�tail, le cultivateur et un domestique qui devait apporter de l�eau � la maison.
En plus il avait une grande propri�t� ; il vendait les produits agricoles, plus 30 � 50 litres de vin de bananes par semaine lui permettaient de vivre ais�ment et am�liorer son habitation. Pendant les troubles des ann�es 59-60, il n��tait pas inquiet, il avait toujours �t� en bon terme avec ses voisins Hutu, il n�a jamais perdu ni vache ni champs ni m�me son reboisement.
En juin 1959, j�ai accompagn� Mgr Kagame pour la deuxi�me fois � Bujumbura, au cours de la session du Conseil G�n�ral du Ruanda-Urundi. Il y avait des d�bats tr�s s�rieux pour l�avenir du Ruanda-Urundi. Je me souviens que c��tait la premi�re fois pour moi d�entendre le projet des �lections � venir et la cr�ation des communes au Ruanda-Urundi.
Le soir du dernier jour de la session, Mutara III envoyant son chauffeur, Rusanganwa, pour chercher Joseph Gitera dans la cit�. Le roi a eu un entretien avec Gitera, en pr�sence du chef Kayihura Michel, Vice-Pr�sident du Conseil du Pays et favori de Mutara III. Il y eut une sc�ne moins amusante entre Mutara III et Gitera. Le lendemain avant de regagner le Rwanda nous sommes all�s dans la villa de Mutara III, situ�e pr�s du Coll�ge du St. Esprit. Il �tait midi, les deux Grands ont d�jeun� ensemble, le cuisinier a fait une table pour moi dans la pi�ce � c�t�. Apr�s le repas, je me suis promen� dans le jardin pour contempler la ville de Bujumbura et le Lac Tanganika, c��tait un panorama magnifique. Vers 14 heures, Mutara et Kagame ont regagn� le salon et m�ont invit� � entrer dans le salon, ils avaient chacun un verre de Cognac. C�est � ce moment que Mutara III raconta � Kagame la visite de Gitera�, comment ce dernier a �t� content d�avoir �t� invit� � prendre une bi�re offerte par le roi�
Ce n�est que 4 ans plus tard, �tant greffier-comptable du Tribunal d�Astrida (actuel Butare), que j�ai pu m�entretenir avec Gitera. Il �tait d�tenu en prison d�Astrida, accus� de � S��tre rendu � Dar Es-Salaam (Tanzanie) pour rendre visite � Kigeri V Ndahindurwa �, un monarque d�chu qui organisait les attaques contre la R�publique !
Avant l�ouverture de l�audience, tous les d�tenus attendaient dans le hall tout pr�s du Greffe. C��tait triste de voir le premier leader Hutu en prison pour un fait banal. Une humiliation par excellence ! Je me suis pos� la question : � Que diable est-il all� chercher chez Kigeri? � Gitera a �t� parmi les premiers leaders pr�sents � Gitarama le 28 janvier 1961 pour proclamer la R�publique ! Dans le fonds, Gitera �tait monarchiste, dans ses extravagances, apr�s s��tre brouill� avec le Parmehutu de Gr�goire Kayibanda, il a cr�� successivement plusieurs partis, dont � Pro-Bami Hutu � (pro monarchie hutu) ayant pour objectif la restauration de monarchies des Hutu, contrairement aux objectifs du Manifeste des Bahutu.
J�ai donc invit� Gitera � s�asseoir au Greffe pour discuter avec lui, bien que c��tait contre les r�gles. C�est en ce moment que Gitera m�a racont� l�histoire de sa visite � la villa de Mutara III � Bujumbura. [�]
C�est � la m�me occasion que Gitera me raconta une histoire assez �nigmatique au sujet de la reine Rosalie Gicanda, �pouse de Mutara III Rudahigwa, disant qu�elle lui a sauv� la vie, lui et les autres ! C��tait l�heure de l�audience, Gitera ne m�a pas dit quand, dans quelles circonstances et comment Rosalie Gicanda lui a sauv� la vie.
Quatre ans plus tard, c��tait en 1967, lorsque je me trouvais chez Makuza Anastase, Ministre de la Justice, en compagnie de Rugamba Cyprien, la conversation tourna au tour des �v�nements des ann�es 58�59 ; Makuza dit que Rosalie Gicanda a rendu un grand service aux Hutu, il n�a pas voulu dire davantage. Ma curiosit� n��tait pas satisfaite ! En 1977, je me trouvais chez Me Epaphrodite Ngirumpatse, avocat � Kigali, les m�mes propos reviennent. [�]
Malgr� mes bonnes relations avec Rosalie Gicanda, je ne sais pas pourquoi je n�ai pas os� lui poser la question concernant le service qu�elle aurait rendu � ces r�publicains ! Selon les informations non v�rifi�es, il para�trait qu�un certain soir Gitera �tait invit� chez Mutara III, dans l�intention de l��liminer physiquement. Rosalie connaissant le complot, aurait trouv� un moyen d�avertir Gitera. Celui-ci quitta le palais discr�tement, se pr�cipita dans sa VW qu�il d�marra aussit�t. [�]
Au moment fi�vreux des premiers Partis politiques, non seulement je n�y comprenais rien en politique, mais aussi �a ne m�int�ressait pas du tout, quand j��coutais les propos des membres de l�UNAR, surtout quand un certain Patrice Rwabukwisi, agent de la PTT, me disait : � Nous devons forcer tous les rwandais � adh�rer � notre Parti �. Je me suis souvenu de mon enfance : des Hutu qui travaillaient pour nous sans �tre pay�s ; une exploitation qui �tait devenue une coutume. Je me disais que ces Hutu avaient raison de revendiquer leurs droits. Je me suis souvenu encore d�un Hutu qui disait � son fils qui voulait aller � l��cole : � Tu dois rester ici, garder mon b�tail, apr�s tout, m�me si �tudie 10 fois, tu ne seras jamais chef ou sous-chef, la place du Hutu est au champ ! �. C��tait comme �a.
Chaque matin mes coll�gues du bureau racontaient les �v�nements de la veille, les meetings de l�UNaR, je ne disais rien, je ne savais rien en effet. Mgr Alexis me dit un jour, � petit vieux (au lieu de dire jeune homme, il disait toujours � petit vieux �), es-tu devenu Aprosoma ? J�ai dis non, la politique �a ne m�int�resse pas. L�Aprosoma c�est pour les Hutu, je ne le suis pas et je ne comprends pas encore ce que l�UNaR veut.
Je me souviens du premier meeting de l�UNaR, surtout quand les swahili ( musulmans) tr�s actifs, �taient venus de Kigali, tr�s nombreux dans les camions, avec clairons et m�gaphones, chantant et r�clamant l�ind�pendance imm�diate, c��tait leur slogan n�1. Les Hutu de l�Aprosoma vinrent nombreux �galement, � pied et dans les camions, brandissant la houe, l�arme noble du hutu, comme ils la pr�sentaient, r�clamant la d�mocratie et leur ind�pendance vis � vis du Tutsi ! L�administrateur de territoire, Bovy prit la pr�caution de ne pas laisser les deux groupes s�approcher l�un de l�autre.
C��tait pour la premi�re fois que les rwandais voyaient un meeting politique. Ce me semblait � un affrontement, une attaque. J�ai eu un pressentiment de malheur, d�une trag�die. Je suis all� dans le bois pour lire tranquillement un roman. J�ai eu le m�me pressentiment en octobre 1990, lorsque j�ai appris l�attaque du FPR-Inkotanyi ; pendant que les autres croyaient aux n�gociations, aux accords de paix. Rien ne me rassurait, je voyais la trag�die approcher, le raisonnement trompe beaucoup. L�intuition ne trompe jamais. C�est comme �a.
En mi-novembre 1959, Mgr Kagame fut assign� � r�sidence surveill�e par le Colonel BEM Guy Logiest. Il ne pouvait pas d�passer les limites du territoire d�Astrida (Butare). Ne pouvant pas se rendre � Nyanza pour voir Kigeri V Ndahindurwa, il m�a envoy� pour lui dire d�aller en Belgique, le roi Baudouin avait invit� les deux bami (rois) : celui du Rwanda et celui du Burundi. Le Vice-Gouverneur G�n�ral du Ruanda�Urundi, Jean�Paul Harroy devait accompagner ces deux bami � Bruxelles. Kigeri V Ndahindurwa n�a pas voulu aller en Belgique. Alexis Kagame me donna sa carte de visite o� il a �crit : � Vous devez aller en Belgique �. Je devrais expliquer le reste verbalement.
Je me suis rendu � Nyanza par camion (il n�y avait ni bus ni taxi). Arriv� � Nyanza � 16 heures, je me suis rendu au bureau du roi. J�ai d�abord attendu � la cour, un policier est venu me demander qui je suis et pour quoi je sui l�. Avant de lui r�pondre, Kigeri V m�avait vu. On se connaissait tr�s bien, envoie son secr�taire Kimenyi pour me dire d�entrer. Tout le monde venait de quitter les bureaux. Kigeli V, entour� de ses secr�taires, me salue le premier, je n�avais m�me pas eu le temps de faire le salut d�usage. D�un air d�tendu, il me demanda : Quel bon vent ? Que me veut cette visite tardive et comment va Kagame ? �
Je lui tendis la carte de visite et j�encha�ne : � L�Abb� me charge de vous dire qu�il est absolument n�cessaire que vous alliez en Belgique. Vous allez avoir l�occasion d�expliquer au Roi Beaudouin toute la situation. C�est un Jeune Roi, il vous �coutera et vous prot�gera. � Avant d�achever les phrases il se retourne vers ses secr�taires et au chef Kayihura et s�adresse � eux dans une attitude m�prisante, et parla en pointa son doigt sur la tempe, signe comme quoi Kagame d�raisonne : � Ecoutez, ce Padiri (pr�tre) veut que j�aille en Belgique ! On m�y hait, les Belges veulent me tuer, et Padiri veut que je m�y pr�sente en holocauste!!! � ![1]
Sur ce, il sort du hall de son bureau, accompagn� de ses secr�taires, Kabagema, Kimenyi et Muhikira. Il s�approche de sa superbe Chevrolet blanche � Impala �, son demi-fr�re Subika Robert, mon neveu (du c�t� maternel) �tait au volant, son grand fr�re Ruzindana Joseph et son demi-fr�re Jean Nkurayija sur le si�ge arri�re. Ils attendaient tous dans la voiture. Il me dit de monter dans la voiture, je pris la place � c�t� des deux fr�res, nous nous dirige�mes vers Kavumu, lieu de sa r�sidence. Au lieu de rentrer chez lui, il dit � son demi-fr�re qui �tait au volant de se diriger vers la bifurcation Nyanza-Kigali-Astrida o� je devais faire autostop. Je sors de la voiture en l�invitant de sortir un petit moment, car j�avais un seul mot � lui dire, plus exactement une question � lui poser. Il accepta gentiment de sortir de la voiture, nous nous m�mes au bord de la route et je lui dis. � Puisque vous ne voulez pas aller en Belgique, quelle carte vous reste-t-elle � jouer �tant donn� la situation, pour r�tablir l�ordre et paix ? �
Kigeri V me r�pondit avec assurance, tout naturellement : � Je vais faire battre le tambour ! � (D�clencher la chasse aux insurg�s – bagome, ennemis du roi), comme ses anc�tres, comme son grand-p�re Kigeri IV Rwabugiri ! A ces mots, je n�ai rien ajout�, j�ai pris cong� en toute politesse, il est retourn� dans sa voiture ; j�ai dit au revoir � mes amis, ses grands fr�res. Arriv� � Astrida (Butare) � 18h.30�, je raconte � Kagame ce que j�ai vu et entendu. Il se f�cha et dit : � Bon, tant pi pour lui, j�ai jou� mon r�le de l�installer sur tr�ne, pour le reste il doit se d�brouiller �. J�ai compris que dans le coup de Mwima [�], c��tait lui qui a tout manipul�. J�avais vu les signes mais je n�en �tais pas tr�s s�r.
A ce propos, vers la fin du mois d�ao�t 1958, le prince Jean-Baptiste Ndahindurwa qui �tait secr�taire au territoire d�Astrida (Butare), venait tous les jours apr�s midi � la sortie de son bureau, voir Mgr Alexis Kagame, tout le monde rentrait � 16h 30, je restais au bureau attendant que notre visiteur termine son entretien avec Kagame qui se terminait entre 18 heures et 18h 30�. Quand il sortait je fermais le bureau et nous rentrions ensemble, chacun � son v�lo jusqu�� Ngoma, par fois nous passions dans le Cercle des �volu�s comme on l�appelait, un tr�s grand b�timent moderne o� il y avait une biblioth�que, une salle de lecture, un caf�t�ria, une salle de cin�ma, un secr�tariat, des toilettes etc. Il avait son logement dans le quartier des fonctionnaires de l�administration, mon logement se trouvait dans le quartier des agents de l�IRSAC. Cet Institut employait plus d�une centaine d�agents de diff�rents cadres. Chaque chercheur avait ses collaborateurs : enqu�te d�mographique, anthropologie, histoire et sociologie, bact�riologie, linguistique, sismographie, il y avait aussi le service de la comptabilit�, les m�caniciens, les chauffeurs, l��quipe d�entretien des b�timents, etc.
Jean-Baptiste Ndahindurwa, son fr�re et ses demi-fr�res �taient tous mes amis de longue date. En 1957, mon grand fr�re Daniel Kazura �pousa la tante maternelle du prince Jean de Dieu Nkurayija, demi-fr�re de Ndahindurwa. Les visites de Ndahindurwa chez Kagame m�intriguaient. Un jour je me suis permis de lui poser la question � propos de ces visites tr�s r�guli�res. Il l�a fini par m�avouer que le roi Mutara III lui avait dit d�aller apprendre certaines choses aupr�s de Kagame. [�]
Lorsque les troubles �clat�rent, en novembre 1959, quand on assassinait les leaders Hutu d�Aprosoma et du Parmehutu, j�ai compris ce que signifiait � battre le tambour-h�raut �. J�ai continu� mon travail jusqu�en d�cembre 1960, le budget allou� � nos recherches par l�IRSAC �tait fini, il ne pouvait pas se permettre de payer tous ses collaborateurs. Mais entre temps, l�Abb� Stanislas Bushayija [�] �tait Sup�rieur de notre Paroisse de Kamonyi pendant plus de 10 ans, et membre du Conseil Sup�rieur du Pays ; il avait �t� mut� pour la Paroisse de Mugombwa dans le sud en territoire d�Astrida, � 25 Km de la ville d�Astrida, il �tait en tr�s bon terme avec les leaders de l�Aprosoma. Un jour l�Abb� Bushayija m�a dit : � Je te connais bien, je connais ton p�re aussi, si tu continues � travailler avec l�Abb� Kagame tu auras des ennuies et Kagame ne fera rien pour toi �.
En effet, en mai 1960 Kagame m�a donn� un paquet de tracts de l�UNaR � distribuer aux gens qui �taient venus voir le match de football, ce que j�ai fait, tout b�tement ou innocemment. Il s�agissait malheureusement des fameux tracts qui emp�chaient les Unaristes de participer aux prochaines �lections communales ! Le lendemain matin j�ai �t� convoqu� au Commissariat de police pour expliquer comment j�ai distribu� les tracts. J�ai dit la v�rit�. Quand l�Abb� Bushayija m�a dit que j�aurai les ennuis, j�ai pens� � cet incident. L�Abb� Bushayija a parl� de mon cas au Pr�fet Habyarimana Jean-Baptiste qui venait d��tre nomm� � ce poste � c�t� de l�Administrateur Bovy, ainsi qu�� d�autres politiciens Hutu de la r�gion, notamment Amandin Rugira, Isidore Nzeyimana. Mais je n�ai jamais adh�r� ni � l�UNaR ni � l�Aprosoma. Malgr� ma neutralit�, les Unaristes m�en voulaient ; plus de trois fois j�ai �chapp� aux attentats. Finalement j�ai quitt� la cit� de Ngoma pour habiter dans une petite maison de 2 chambres derri�re la maison du Commissaire Jules Pilate.
Ma premi�re d�ception
Lorsque j�ai entendu que le FPR frappe durement � la fronti�re du pays, je me suis dit : � �a y est ! � Mon intuition ne me trompe gu�re ! Mais, je me suis dit (sans intuition) que MACHIN[2] allait r�agir. O� diable suis-je all� piocher cette id�e ? Dans les livres et discours sans doute. On nous a dit que MACHIN est le garant de la paix et la justice mondiale ! Mon �il !
J�avais peur m�lang�e de honte. Honte de quoi ? J��tais tutsi, comme ceux qui ont attaqu�. Mon fils Eug�ne qui �tait � l�Universit� Nationale du Rwanda � Butare et qui a �t� tu� � Butare m�me, partageait ce sentiment. Nous �tions tous les rebelles, les agresseurs. Comment le nier ? Il faut toujours se mettre � la place des autres. Quand je rencontrais les militaires qui venaient ou qui allaient au front, je baissais les yeux. Avec raison. Ces gens contre lesquels ils se battaient avaient la m�me taille et le visage que moi. Je sentais la froideur parmi les Hutu que je fr�quentais d�habitude. Gr�ce aux discours de Habyarimana qui invitait tout le monde � rester calme, j�osais sortir de la maison, sans beaucoup d�espoir d�y rentrer.
Le 5 octobre 1990, � 10 heures pr�cises, c��tait le jour d�arrestation des Ibyitso (complices) [�] Sous la pression de la communaut� internationale, les coupables et les innocents ont �t� lib�r�s. C��tait comme �a ! [�]
La guerre s�intensifia � la fronti�re rwando-ougandaise, chacun serrait son chapelet en main en allant ou venant de l��glise, croyant que Dieu allait arr�ter la guerre, comme si c��tait lui qui l�avait organis�e. Mon �il ! Les pri�res tombaient comme sur une statue en marbre ! Dieu se tut, comme il s�est tu lorsqu� on a crucifi� son fils ! De l�autre c�t� on faisait une pri�re � sens inverse : � B�nissez, Seigneur, les armes que nous tenons, et donnez-nous la victoire �. Les na�fs comme moi croyaient au MACHIN. Finalement MACHIN est arriv�. Pour quoi et comment ? Ce n��tait pas MACHIN de 1960 � 1961, pour les Hutu. Celui-l� �tait mort. C��tait un autre MACHIN.

J’ai constat� et j’ai compris qu’il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le soleil : � Un temps pour se taire et un temps pour parler. �[3]

Source: Musabyimana.be

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