Tribune d'Information sur le Rwanda

Rwanda: Human Rights Watch critique les tribunaux Gacaca

Rwanda: H�ritage mitig� pour les tribunaux communautaires traitant les affaires de g�nocide

De graves erreurs judiciaires requi�rent un examen par le syst�me judiciaire national

Rwanda Gacaca court

Un rescap� du g�nocide porte des accusations contre un prisonnier (portant une chemise rose) au cours d’une audience gacaca en f�vrier 2003 pr�s de Gikongoro, dans le sud du Rwanda.

Les tribunaux communautaires gacaca au Rwanda ont aid� les communaut�s � faire face au g�nocide de 1994 dans le pays mais n’ont pas r�ussi � fournir des d�cisions et une justice cr�dibles dans un certain nombre d’affaires, a d�clar� Human Rights Watch dans un rapport publi� aujourd’hui. Alors que les tribunaux gacaca r�duisent progressivement leurs activit�s, le Rwanda devrait mettre en place des unit�s sp�cialis�es au sein du syst�me judiciaire national afin d’examiner les all�gations d’erreurs judiciaires, a ajout� Human Rights Watch.

� L�exp�rience ambitieuse du Rwanda dans la justice transitionnelle laissera un h�ritage mitig�. Les tribunaux ont aid� les Rwandais � mieux comprendre ce qui s�est pass� en 1994, mais dans de nombreux cas des proc�s d�fectueux ont conduit � des erreurs judiciaires. �

Daniel Bekele, directeur de la division Afrique � Human Rights Watch

Le rapport de 160 pages, � Justice compromise : L’h�ritage des tribunaux communautaires gacaca du Rwanda �, �value les r�ussites des tribunaux et souligne un certain nombre de graves lacunes dans leur travail, notamment la corruption et des irr�gularit�s de proc�dure. Le rapport examine �galement la d�cision du gouvernement de transf�rer les affaires de viols li�es au g�nocide devant les tribunaux gacaca et d’exclure de leur comp�tence les crimes commis par des militaires du Front patriotique rwandais (FPR), parti au pouvoir dans le pays depuis que le g�nocide a pris fin en juillet 1994.

� L’exp�rience ambitieuse du Rwanda dans la justice transitionnelle laissera un h�ritage mitig� �, a d�clar� Daniel Bekele, directeur de la division Afrique � Human Rights Watch. � Les tribunaux ont aid� les Rwandais � mieux comprendre ce qui s’est pass� en 1994, mais dans de nombreux cas des proc�s d�fectueux ont conduit � des erreurs judiciaires. �

Le rapport est bas� sur l’observation par Human Rights Watch de plus de 2 000 jours de proc�s devant les juridictions gacaca, sur l’examen de plus de 350 affaires, et sur des entretiens avec des centaines de participants de toutes les parties prenantes du processus gacaca, notamment des accus�s, des rescap�s du g�nocide, des t�moins, d’autres membres de la communaut�, des juges, ainsi que des autorit�s locales et nationales.

Depuis 2005, un peu plus de 12 000 tribunaux gacaca communautairesont jug� environ 1,2 million d’affaires li�es au g�nocide de 1994. Les violences ont fait plus d’un demi-million de morts, appartenant principalement � la population minoritaire tutsie du pays. Les tribunaux communautaires sont appel�s gacaca - � gazon � dans la langue du pays, le kinyarwanda, se r�f�rant � l’endroit o� les communaut�s se r�unissaient traditionnellement pour r�gler les diff�rends. Il �tait pr�vu que les tribunaux aient achev� les proc�s � la mi-2010, mais leur cl�ture a �t� report�e � octobre 2010. En mai 2011, le ministre de la Justice aurait annonc� que les tribunaux gacaca seraient officiellement cl�tur�s d’ici d�cembre 2011.

Les juridictions gacaca ont �t� cr��es en 2001 pour r�pondre � la surcharge d’affaires dans le syst�me judiciaire classique et � une crise carc�rale. En 1998, 130 000 suspects de g�nocide �taient entass�s dans un espace carc�ral con�u pour accueillir 12 000 personnes, aboutissant � des conditions inhumaines et des milliers de morts. Entre d�cembre 1996 et le d�but de 1998, les tribunaux classiques avaient jug� seulement 1 292 personnes soup�onn�es de g�nocide, ce qui a conduit � l’assentiment g�n�ral qu’une nouvelle approche �tait n�cessaire pour acc�l�rer les proc�s.

La loi gacaca adopt�e au Rwanda en 2001 a cherch� � r�soudre cet encombrement. Les nouveaux tribunaux gacaca, sous la supervision du gouvernement mais avec des garanties limit�es d’une proc�dure r�guli�re, ont combin� le droit p�nal moderne avec des proc�dures communautaires informelles plus traditionnelles.

Le gouvernement rwandais a �t� confront� � des d�fis �normes dans la cr�ation d’un syst�me qui pourrait traiter rapidement des dizaines de milliers d’affaires d’une mani�re qui serait largement accept�e par la population, a indiqu� Human Rights Watch. Ce syst�me a obtenu certaines r�ussites, notamment la tenue de proc�s rapides avec la participation populaire, une r�duction de la population carc�rale, une meilleure compr�hension de ce qui s’est pass� en 1994, la localisation et l’identification des corps des victimes et un �ventuel assouplissement des tensions ethniques entre le groupe ethnique majoritaire hutu et la minorit� tutsie.

Les Rwandais ont toutefois pay� un prix �lev� pour les compromis faits lors de la mise en place du nouveau syst�me gacaca. Human Rights Watch a constat� un large �ventail de violations de proc�s �quitable. Il s’agit notamment de restrictions sur la capacit� de l’accus� � �tablir une d�fense efficace ; d’�ventuelles erreurs judiciaires dues � l’utilisation de juges n’ayant en grande partie pas b�n�fici� de la formation n�cessaire ; de fausses accusations, dont certaines bas�es sur la volont� du gouvernement rwandais de faire taire les critiques ; du d�tournement du syst�me gacaca pour r�gler des comptes personnels ; d’intimidation de t�moins � d�charge par des juges ou par des autorit�s ; et de corruption par des juges et des parties aux affaires.

� La cr�ation des juridictions gacaca a �t� une bonne chose car elle a permis � la population de jouer un r�le important dans le processus gacaca. Mais je d�plore [s'adressant aux juges] votre parti pris �, a d�clar� un t�moin lors d’un proc�s observ� par Human Rights Watch.

Le gouvernement rwandais a soutenu que les droits traditionnels de proc�s �quitable n’�taient pas n�cessaires parce que les membres de la communaut� – au fait de ce qui s’est pass� dans leur r�gion en 1994 – r�v�leraient les faux t�moignages ou la partialit� des juges. Mais Human Rights Watch a constat� dans de nombreux cas que des t�moins potentiels ne se sont pas exprim�s pour la d�fense de suspects du g�nocide parce qu’ils craignaient des poursuites pour parjure, complicit� dans le g�nocide ou � id�ologie g�nocidaire �, d�lit vaguement d�fini interdisant les id�es, les d�clarations ou une conduite qui pourraient entra�ner des tensions ethniques ou des violences. D’autres craignaient de subir l’ostracisme social pour avoir aid� des suspects � se d�fendre.

Un rescap� du g�nocide interrog� par Human Rights Watch a fondu en larmes, en disant qu’il avait honte d’avoir eu trop peur de t�moigner pour la d�fense d’un homme hutu qui avait sauv� sa vie et celles de plus d’une dizaine de membres de sa famille.

� Un certain nombre de personnes nous ont dit qu’elles avaient gard� le silence pendant les proc�s gacaca alors m�me qu’elles croyaient les suspects innocents �, a d�clar� Daniel Bekele. � Ces personnes ont estim� que l’enjeu de se pr�senter pour d�fendre les personnes accus�es � tort de crimes li�s au g�nocide �tait tout simplement trop �lev�. �

Human Rights Watch a �galement interview� des victimes de viol dont les affaires li�es au g�nocide ont �t� transf�r�es en mai 2008 depuis les tribunaux classiques, dot�s d’une meilleure protection des renseignements personnels, devant les tribunaux gacaca, dont les proc�dures sont connues de toute la communaut�, bien que se d�roulant � huis clos. De nombreuses victimes de viol se sont senties trahies par cette perte de confidentialit�.

La d�cision du gouvernement d’exclure de la comp�tence des tribunaux gacaca les crimes commis par des militaires appartenant au parti actuellement au pouvoir, le FPR, a laiss� les victimes de leurs crimes en attente de justice, a observ� Human Rights Watch. Des militaires du FPR, qui a mis fin au g�nocide en juillet 1994 et a form� ensuite le gouvernement actuel, ont tu� des dizaines de milliers de personnes entre avril et d�cembre 1994. En 2004, la loi gacaca a �t� modifi�e afin d’exclure de tels crimes, et le gouvernement a veill� � ce que ces crimes ne soient pas abord�s devant les juridictions gacaca.

� L’une des graves lacunes du processus gacaca a �t� son incapacit� � assurer une justice �gale pour toutes les victimes de crimes graves commis en 1994 �, a observ� Daniel Bekele. � En retirant les crimes commis par le FPR de leur comp�tence, le gouvernement a limit� le potentiel des juridictions gacaca � favoriser la r�conciliation � long terme au Rwanda. �

Les graves erreurs judiciaires devraient �tre examin�es par des juges professionnels devant des tribunaux sp�cialis�s au sein du syst�me classique, plut�t que par les tribunaux gacaca ainsi que l’a propos� le gouvernement rwandais � la fin de 2010, a indiqu� Human Rights Watch.

� Si les tribunaux gacaca examinent les erreurs judiciaires pr�sum�es, il y a un risque de voir se r�p�ter certains des m�mes probl�mes �, a conclu Daniel Bekele. � Au lieu de cela, le gouvernement devrait s’assurer que le syst�me judiciaire formel examine ces affaires de mani�re professionnelle, �quitable et impartiale. Cela aiderait � assurer l’h�ritage du syst�me gacaca et � renforcer le syst�me judiciaire du Rwanda pour les g�n�rations � venir. �

Quelques citations tir�es du rapport :

� Je n’arrive pas � comprendre comment vous pouvez me demander de pr�senter mes t�moins � d�charge alors que je ne connais m�me pas les accusations port�es contre moi dans cette affaire ? �

-Un homme accus�, lors de son proc�s dans le sud du Rwanda

� Pourquoi est-ce que toute personne qui dit la v�rit� et d�fend un homme est consid�r�e comme tra�tre ? �

-Un rescap� du g�nocide lors d’une d�position en tant que t�moin � d�charge dans un proc�s gacaca

� En t�moignant pour la d�fense, vous risquez de voir vos d�clarations qualifi�es de mensonges. �

-Une autorit� locale expliquant lors d’une entrevue pourquoi davantage de t�moins ne d�posent pas

� Dans le processus gacaca, il y a eu beaucoup de conflits personnels qui n’avaient rien � voir avec le g�nocide. �

-Un rescap� du g�nocide

� Il faut donner de l’argent. Les juges gacaca n’ont pas �t� pay�s alors ils ont parfois pris des dispositions pour recevoir de l’argent de ceux qui ont �t� accus�s. �

-Un homme accus� de g�nocide qui a d�clar� qu’il avait d� payer un pot-de-vin aux juges gacaca

� Le plus gros probl�me avec le syst�me gacaca, ce sont les crimes dont nous ne pouvons pas discuter. On nous dit qu’on ne peut pas discuter de certains crimes, les meurtres commis par le FPR, devant les juridictions gacaca, m�me si les familles ont besoin de parler. On nous dit de nous taire sur ces questions. C’est un gros probl�me. Ce n’est pas de la justice. �

-Un membre de la famille d’une victime de crimes commis par des militaires du parti actuellement au pouvoir

� Le syst�me gacaca a am�lior� la situation parce que les gens se rapprochent lentement les uns des autres alors qu’ils ne le faisaient pas auparavant. �

-Un juge (lui-m�me un rescap� du g�nocide) qui a particip� aux proc�s gacaca

� Il s’agit de r�conciliation impos�e par le gouvernement. Le gouvernement a forc� les gens � demander et donner le pardon. Personne ne le fait volontairement … Le gouvernement a graci� les tueurs, pas nous. �

-Une rescap�e du g�nocide qui a �t� viol�e pendant le g�nocide

� Le processus gacaca a laiss� les Hutus et les Tutsis encore plus divis�s que jamais. �

-Un membre de la famille d’un homme accus� de genocide

� Comment faire pour d�cider d’une politique � l’�gard de la proposition pour gacaca ?….[ I] l est clair que la proposition est � la fois tr�s prometteuse et tr�s dangereuse [...] Il n’y a moyen d’�tre s�r de rien : c’est un pari gigantesque pour les autorit�s et la population rwandaises, comme il le serait pour tout bailleur de fonds le soutenant (avec la diff�rence que pour les bailleurs de fonds, ce n’est pas une question de vie ou de mort, tandis que c’est le cas pour les Rwandais). �

-L’auteur d’une �tude universitaire sur la question du soutien potentiel des bailleurs de fonds internationaux pour le processus gacaca

[Human Rights Watch]

1 comment

1 Verdict de HRW sur les Tribunaux Gacaca du Rwanda: Justice Compromise | Rwandinfo_FR { 06.02.11 at 01:42 }

[...] L’organisation de d�fense des droits de l’Homme, Human Rights Watch a publi� un rapport sur les juridictions communautaires Gacaca au Rwanda (voir:Rwanda: Human Rights Watch critique les tribunaux Gacaca) [...]

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