Tribune d'Information sur le Rwanda

Le Rwanda face aux �lections: Les fissures dans le miroir


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Le Rwanda face aux �lections: Les fissures dans le miroir (suite 4)

par Kris BERWOUTS.

Les fissures dans le miroir

Aujourd�hui, le premier souci du r�gime n�est pas l�opposition classique.
Quand vous avez un contr�le quasi-total sur les institutions l�gislatives, ex�cutives et judiciaires, quand la presse ind�pendante a presque enti�rement disparu, quand la partie de la soci�t� qui n�a pas �t� explicitement r�cup�r�e par vous a atteint un raffinement extraordinaire dans l�art noble de l�autocensure, quand vous incarnez pour une partie importante de l�opinion publique nationale et internationale la fin du g�nocide et le retour � la stabilit�, vous n�allez pas perdre les �lections.
Pas contre Victoire Ingabire, qui n�a jamais eu une vie publique au Rwanda et qui n�est donc pas connue par l��lectorat rwandais.
Pas contre Bernard Ntaganda non plus, qui a un entourage institutionnel instable et facile � manipuler.
Et pas par Frank Habineza, m�me si il travaille avec des gens qui viennent de votre milieu, y compris le premier pr�sident (et d�ailleurs un des premiers dissidents) de votre pays. Ils ont un parti qui n�existait pas encore il y a un an, et dont c�est incertain qu�il sera reconnu � temps pour participer aux �lections.

Le Democratic Green Party ne va pas battre le FPR dans les �lections, mais il rend le r�gime nerveux. Parce que, parmi beaucoup d�autres signes, il montre la perte de la coh�sion au sein de l��lite rwandaise, l�inner circle du pouvoir. Ceci n�est pas nouveau, mais le d�part de Kayumba, l�arrestation de Mushayidi et l��mergence du Democratic Green Party font preuve que les fissures que le gouvernement voit quand il se regarde dans le miroir ne sont pas seulement visibles pour lui-m�me, mais pour tout le monde.

Sous un baobab, rien ne pousse

Une partie de la probl�matique des tensions � l�int�rieur du r�gime n�a rien � voir avec le contexte sp�cifique du Rwanda.
Apr�s la mort de Fred Rwigema, le deuxi�me jour de la lutte arm�e du FPR en octobre 1990, Paul Kagame a pris le commandement de la r�bellion, et il l�a gard� jusque maintenant. Il �tait l�homme fort pendant la guerre et apr�s la victoire, m�me s�il se contentait, les premi�res ann�es (1994 � 2000), du r�le de Ministre de la D�fense, laissant la t�te des institutions de l�Etat � Pasteur Bizimungu.
Ceci n�emp�chait pas que tout le monde, � l�int�rieur du Rwanda comme � l�ext�rieur, se rendait compte que c��tait lui, le vrai dirigeant du pays. Et il �tait fortement appr�ci� par beaucoup d�acteurs dans la communaut� internationale. Apr�s la chute de la g�n�ration Mobutu, Kagame incarnait pour certains un nouveau leadership africain, avec une vision inspirante, un projet mobilisant et suffisamment d�efficacit� pour livrer des r�sultats palpables et sur certains terrains m�me des r�sultats spectaculaires.

Mais, aujourd�hui, il est en train de suivre le m�me chemin que d�autres chefs d�Etats africains (Museveni, Mugabe,�). Sa confiance en lui-m�me se traduit en arrogance et quand on regarde de plus pr�s l�impressionnante liste de personnes-cl� du FPR (hauts cadres militaires, ministres, ambassadeurs,�) qui ont quitt� le pays, on comprend que son r�gne a d�velopp� une tendance autodestructrice en sciant la branche sur laquelle il est assis. Comme Museveni, Mugabe et tant d�autres, Kagame se transforme en Roi Soleil sans dauphin, en baobab sous lequel rien ne puisse pousser.

Une partie du m�contentement au sein du parti et de sa communaut� est bas�e sur un fonds de frustrations des gens qui rayonnent autour du pouvoir sans y avoir acc�s. Des gens qui pensaient que le FPR pourrait �tre la locomotive qui les aiderait � sortir de la pauvret�. M�me s�ils voient certains gens avec qui ils ont grandi dans les camps de r�fugi�s en Ouganda et qui sont maintenant milliardaires, ils voient aussi que leur cercle reste ferm� pour eux.

La probl�matique d�exclusion au sein du pouvoir est d�ailleurs en train de d�velopper une dimension de g�n�ration. La g�n�ration qui a pris les armes, et a gagn� la guerre, a pris en main la gestion du pays. Ils ont investi beaucoup dans l�enseignement de leurs fils et filles, et ceux-ci sont en train de rentrer au pays avec un bagage intellectuel et technique qui d�passe celui de la g�n�ration de leurs p�res. Eux aussi vont vouloir participer � la gestion du pays au tout premier plan.

La justice internationale : l��p�e de Damocles

Les proc�dures judiciaires entam�es par les juges Jean-Louis Brugui�re en France et Fernando Andreu Merelles en Espagne ont fondamentalement secou� le noyau du pouvoir rwandais. Le gouvernement rwandais peut compter sur la loyaut� de certains pays et institutions internationales, et cette loyaut� est bas�e au moins partiellement sur un sentiment de culpabilit� de la communaut� internationale pour ne pas avoir pu �viter le g�nocide (et, tout franchement, ne pas avoir trop essay� de l��viter).

Pour maintenir cette loyaut�, il est tr�s important que le r�gime rwandais veille sur la lecture que le monde fasse de l�histoire r�cente du pays. Depuis 1994, le pays est g�r� dans un climat psychologique sur une logique de vainqueurs contre perdants, victimes contre bourreaux, o� par exemple tout un syst�me a �t� mis en place par la juridiction gacaca pour traiter les crimes g�nocidaires contre les Tutsi, pendant qu�il y a un tabou �norme sur les crimes commis par le FPR depuis le d�but de la guerre. Ce tabou r�duit l�effet positif que gacaca aurait pu avoir : au lieu d��tre un m�canisme qui aide un pays � assumer son pass� traumatisant, gacaca est devenu une strat�gie pour consolider le sch�ma de vainqueurs-victimes contre perdants-coupables.

Bien s�r, les d�marches de Brugui�re et d�Andreu sont fort emb�tantes. Elles perturbent le sch�ma, elles troublent l�image. Et elles cr�ent des inqui�tudes dans le milieu des gens concern�s. M�me s�il est tr�s improbable aujourd�hui que des dirigeants actuels du Rwanda soient jug�s en France ou en Espagne, peut-�tre le sch�ma n�est pas tenable � moyen terme. Il n�est pas exclu, m�me si ce n�est pas demain, que la question deviendra : � qu�est-ce que nous allons admettre ? Qui allons-nous sacrifier ? �. Et cette question ne contribue pas beaucoup � la coh�sion. Le futur imm�diat de Kayumba est une pr�occupation majeure du r�gime. Qu�est-ce qu�il va dire et devant quel forum ? Qu�arrivera-t-il s�il est extrad� en Espagne ? De l� la pression sur le gouvernement sud-africain pour le renvoyer au Rwanda.

L�implication du Rwanda au Congo

Depuis 1996, le Congo prend beaucoup de place dans la politique �trang�re du Rwanda. Et � plusieurs moments, ce qui se passe au Congo a pes� sur la coh�sion du r�gime rwandais comme pomme de discorde. Par exemple lors des confrontations avec l�arm�e ougandaise (en 2000 et 2002), Kayumba s�opposait � cette confrontation.

Un exemple tr�s r�cent est l�arrestation de Laurent Nkunda au d�but de l�op�ration conjointe Umoja Wetu. L�op�ration �tait men�e par John Numbi (pour le Congo) et par James Kabarebe (pour le Rwanda) et un des premiers actes de l�op�ration �tait l�arrestation de Laurent Nkunda qui faisait partie d�une strat�gie de son remplacement par Bosco Ntaganda � la t�te du CNDP. Cette arrestation a caus� beaucoup d�animosit� au Rwanda, non seulement dans le milieu et dans les camps des r�fugi�s congolais rwandophones au Rwanda, mais aussi dans l�arm�e. Apr�s tout, Nkunda a servi dans le FPR et des �l�ments du FPR ont servi dans l�arm�e de Nkunda. Ces collaborations ont cr�� des liens et des affinit�s forts.

Une grande partie de l�importance du Congo pour le Rwanda se trouve bien s�r dans le passage du trafic ill�gal des ressources du Congo par le Rwanda. Ce traffic se passait en dehors du contr�le de l�Etat congolais (en toute �vidence), mais pour une bonne partie aussi en dehors du contr�le de l�Etat rwandais, m�me s�il servait les int�r�ts des personnes-cl�s dans le paysage politico-militaire du Rwanda.
Ces int�r�ts affairistes peuvent �tre divergents et ne contribuent pas toujours � la coh�sion du pouvoir non plus. C�est partiellement en fonction de ceci qu�on doit comprendre la nervosit� autour de l�obligation actuelle des dirigeants rwandais de pr�senter de fa�on transparente leurs possessions et leurs revenus.

Directement li� � l�implication rwandaise au Congo est la probl�matique des militaires d�mobilis�s. Maintenant qu�une pr�sence directe au Congo n�est plus une option, le Rwanda se voit confront� � une arm�e trop volumineuse. Une partie du surplus en soldats peut �tre d�ploy�e dans le cadre de l�Union Africaine, mais il y a bien s�r des limites � cela. Le reste doit �tre d�mobilis�, et beaucoup de ces ex-soldats se sentent fondamentalement abandonn�s par le r�gime qu�ils ont d�fendu, souvent dans des circonstances tr�s difficiles.

La fissure linguistique

Nous connaissons tous la tension linguistique : le FPR a introduit l�anglais au Rwanda puisque la r�bellion �tait men�e par des gens qui avaient grandi en Ouganda. Le fait qu�ils ont pris le pouvoir a donn� � l�Anglais une place beaucoup plus importante dans la vie publique du pays qu�on pourrait croire sur base du nombre de gens qui le parlaient. Au cours des ann�es, on a vu la balance graduellement pencher en faveur de l�Anglais, ce qui allait de pair avec un sentiment de discrimination dans certains milieux francophones.

Le moment d�cisif a �t� la reconnaissance de l�Anglais fin 2008 comme langue officielle pour l�enseignement. Pour certains, c��tait une d�cision visionnaire qui d�senclave le pays en partant des r�alit�s r�gionales, continentales et mondiales. Pour d�autres, c��tait une d�cision qui boucle l�ambition d�un r�gime minoritaire de monopoliser la communication et la vie intellectuelle du pays, de mettre la main sur la jeunesse, de r��crire l�histoire et, finalement, de prendre possession de la m�moire collective.

Mais ind�pendamment de l�angle d�o� on regarde cette probl�matique, c�est clair que cette d�cision a renforc� des gens et marginalis� d�autres. Elle contribue au clivage qui existait d�j� entre le milieu issu de l�Ouganda qui fournit le noyau du r�gime, et les autres, ou les rescap�s du g�nocide se trouvent dans une situation qui est plus inconfortable encore que celles des gens qui sont revenus du Burundi ou du Congo en 1994.

La structure clanique du pouvoir

Beaucoup de gens voient dans la structure clanique autour de la famille royale rwandaise, m�me si celle-ci ne r�gne plus depuis un demi-si�cle, que le mouvement monarchiste autour du Roi Kigeli V (actuellement aux Etats-Unis) continue � jouer un r�le politique et a l�ambition de participer dans la gestion du pays.

Certains analystes rwandais soulignent que les clans autour de la dynastie fournissent une partie importante de l�identit� de plusieurs personnes sur la sc�ne politique actuelle. Ainsi, la tension ancestrale entre les Banyiginya et les Bega serait une des fissures qui nous permet de mieux comprendre ce qui se passe � l�int�rieur du pouvoir : Kagame est Mwega, tandis que Kayumba, Karegeya, Nyetera, Kazura, Sebarenzi et tant d�autres appartiennent aux Banyiginya.

Je ne ma�trise cette mati�re pas suffisamment bien pour comprendre dans quelle mesure le sch�ma clanique joue un r�le r�elle dans la situation actuelle, mais je voulais au moins le mentionner.

Lire la suite: Conclusion : plus de questions que de r�ponses.

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2 comments

1 G�n�ral Kayumba Nyamwasa essaye de forger des alliances avec des groupes qui pourraient �tre mobilis�s contre le r�gime rwandais | Rwandinfo_FR { 09.22.10 at 05:38 }

[...] Dans ce contexte, une nouvelle op�ration militaire conjointe entre le Rwanda et le Congo, ouverte ou cach�e, appel�e Umoja Wetu ou sous un autre nom, n’apportera rien � la stabilit� r�gionale. Elle aura le m�me impact n�gatif que toutes les autres op�rations militaires depuis janvier 2009 : elle dispersera et radicalisera les acteurs arm�s sur le terrain. Elle fera des d�g�ts dans la population civile et elle annihilera l’espace pour des voies n�goci�es vers une d�mobilisation volontaire. Elle ne contribuera en rien � la paix durable. Il s’agira d’une d�marche machiav�lique o� Kagame aidera Kabila � �tablir un certain contr�le sur l’Est du Congo pendant que Kabila permettra � Kagame de d�manteler tout ce qui s’organise sur le territoire kivutien contre lui. Le levier n’est pas dans les op�rations militaires mais dans le dialogue et dans l’inclusivit�. Du m�me auteur: Les fissures dans le miroir [...]

2 BIRENGUSEKE ! { 09.24.10 at 05:39 }

…Yaba UMWEGA , yaba UMUNYIGINYA ; bamenye ko UMUNYARWANDA w’ umugesera uli haliya ahagaze neza kandi ko ababona bububaaaaaa….!!!!!

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