Tribune d'Information sur le Rwanda

Drame rwandais: d�m�ler le vrai du faux


Dr. Augustin Baziramwabo.

La r�plique de M. Lambert Rangira �Une vue caricaturale du Rwanda d’aujourd’hui� (Le Soleil, 2 juin 2010) � une r�flexion que j’ai fait para�tre dans les colonnes du m�me quotidien et qui s’intitulait �Visite de la Gouverneure g�n�rale du Canada au Rwanda : quels enjeux?� (Le Soleil, 20 avril 2010) semble prouver une fois de plus l’impuissance du droit et de la raison dans le diagnostic des pistes de solutions aux probl�mes auxquels le Rwanda fait face.

Parce que ma grille de lecture des �v�nements qui ont endeuill� le Rwanda il y a 16 ans diff�re du discours ambiant jusqu’ici v�hicul� par les partisans de Paul Kagame, M. Rangira me traite de �n�gationniste�.

L’accusation est gravissime et m�rite une riposte appropri�e. Je n’ai jamais ni� qu’au Rwanda, en 1994, il y ait eu g�nocide. La trag�die rwandaise m�rite � juste titre le qualificatif de �g�nocide rwandais�, terminologie qui a d’ailleurs �t� utilis�e par les Nations unies et le Parlement canadien. Vouloir � tout prix coller une �tiquette ethnique � cette horrible trag�die (qui a malheureusement emport� aussi bien des Tutsis que des Hutus) ne contribue pas � l’exercice de d�m�ler le vrai du faux dans le drame rwandais.

En parcourant les principales r�solutions du Conseil de s�curit� des Nations unies portant sur le drame rwandais, on trouve quatre textes importants :
? la R�solution 935 (1994) du 1er juillet 1994 demandant au Secr�taire g�n�ral de constituer d’urgence une commission impartiale d’experts charg�e d’examiner et d’analyser les informations relatives � la situation au Rwanda;
? la R�solution 955 (1994) du 8 novembre 1994 portant cr�ation du Tribunal p�nal international sur le Rwanda (TPIR) auquel est annex� le statut dudit Tribunal;
? la r�solution 977 (1995) du 22 f�vrier 1995 �tablissant le si�ge du Tribunal international pour le Rwanda � Arusha en Tanzanie;
? et la r�solution 978 (1995) du 27 f�vrier 1995 priant les �tats membres des Nations unies d’arr�ter et de mettre en d�tention, conform�ment � leur l�gislation nationale et aux normes applicables du droit international, les personnes trouv�es sur leur territoire contre lesquelles il existe des preuves suffisantes qu’elles se sont rendues coupables d’actes entrant dans la comp�tence du TPIR.

Tous ces textes qualifient de la m�me fa�on les atrocit�s et autres crimes de guerre survenus au Rwanda.
La r�solution 935 (1994) parle de �violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda, y compris d’�ventuels actes de g�nocide�.
Quant � la r�solution 955 (1994), celle qui a cr�� le TPIR, elle parle d’�actes de g�nocide et d’autres violations flagrantes, g�n�ralis�es et syst�matiques du droit international humanitaire commises au Rwanda�.

On aura remarqu� que le l�gislateur s’abstient de tomber dans le pi�ge de la qualification ethnique, ce qui laisse place � une application juste et �quitable du droit international dans le cas de la trag�die rwandaise.

Devrais-je rappeler � M. Rangira, au cas o� cela aurait �chapp� � son attention, que le g�n�ral Rom�o Dallaire, questionn� sur l’�ventuelle planification d’un �g�nocide contre les Tutsi�, s’exprimait, � l’antenne de Radio-Canada, le 14 septembre 1994, en ces termes: �Moi, je dirais qu’il y a eu g�nocide national, mais un g�nocide de philosophie politique, non pas purement ethnique. Beaucoup de Hutu comme beaucoup de Tutsi ont �t� tu�s… Je pense que le d�bordement qu’on a vu a �t� au-del� de pouvoir �tre con�u. Mais jamais, je pense, personne n’aurait pu planifier l’ampleur du d�bordement.�

Enfin, un autre �l�ment qu’il sied de souligner tient au fait qu’en presque 16 ans de travail et apr�s plus d’une trentaine d’arr�ts, le TPIR n’a pas encore trouv� des preuves convaincantes pour fonder le crime d’�entente pour commettre le g�nocide�, c’est-�-dire de planification du g�nocide. M�me le colonel Th�oneste Bagosora, pr�sent� par l’opinion internationale comme le �cerveau du g�nocide�, a �t� blanchi de ce crime, comme l’a fait remarquer un des t�moins experts du TPIR, le professeur fran�ais Bernard Lugan: �Entre les mois d’avril et de juillet 1994, des centaines de milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, de nourrissons et de vieillards ont �t� tu�s, le plus souvent dans des conditions horribles. Nous savons o�, nous savons par qui, nous savons comment, mais l’�ventuelle cha�ne de commandement qui, avant le 6 avril 1994, aurait planifi� de tels crimes n’a pas �t� mise en �vidence devant le TPIR. Il y a donc bien eu g�nocide, mais ni pr�m�ditation, ni planification.�

Devant ce paradoxe apparent, plut�t que de jeter des anath�mes, la communaut� internationale ne serait-elle pas mieux avis�e de demander que le Droit p�nal international int�gre cette r�alit� en �largissant �ventuellement la d�finition m�me de ce crime?

Dans ma r�flexion (Le Soleil, 20 avril 2010) qui a fait sursauter M. Rangira, j’�voquais une situation pr�occupante qui faisait penser que le Rwanda allait mal � la veille du scrutin pr�sidentiel du 9 ao�t dernier. On conna�t la suite… Ce scrutin, qui vient d’accorder � M. Kagame un second septennat avec un score stalinien de 93%, a �t� une mascarade �lectorale. Tous les candidats de poids qui auraient pu offrir aux Rwandais un autre projet de soci�t� ont �t� �cart�s, assign�s � r�sidence surveill�e quand ils n’�taient pas forc�s de prendre le chemin des ge�les. Un avocat am�ricain, M. Peter Erlinder, emprisonn�. La presse harcel�e. Les journalistes, les vrais, jet�s en prison ou tu�s. Un opposant politique d�capit�.

Cette situation a r�cemment amen� l’administration du pr�sident Obama, par la voix du porte-parole du Conseil national de s�curit�, M. Mike Hammer, � livrer un verdict sans d�tour : �Nous demeurons pr�occup�s, disait-il, en commentant le r�sultat des �lections rwandaises, par la s�rie d’�v�nements d�rangeants qui ont eu lieu avant l’�lection, notamment la suspension de deux quotidiens, l’expulsion du pays d’un chercheur des droits de l’homme, l’interdiction de participer au scrutin impos�e � deux partis d’opposition et l’arrestation de journalistes�.
M�me analyse pour le Canada qui, selon le ministre des Affaires �trang�res, l’honorable Lawrence Cannon, s’exprimant de fa�on non �quivoque, disait que �le Canada est pr�occup� par le climat politique qui r�gnait pendant les �lections et qui perdure, ainsi que par le nombre d’incidents violents qui se sont produits. Des rapports troublants font �tat d’intimidation aupr�s des opposants politiques et de pressions sur les m�dias.�

Toutes ces interventions, venant de surcro�t des grands pays partenaires et amis du Rwanda, sont une r�ponse cinglante aux d�n�gations maintes fois exprim�es, jusqu’au sommet du pouvoir kagam�en, sur les probl�mes persistants concernant l’ ��tat de droit� au Rwanda. D�s lors, toutes les personnes qui pensent diff�remment que les Rangira de ce monde – ces Rangira partisans du Rwanda enchant� de Paul Kagame – au sujet de la trag�die rwandaise auraient-elles franchi le Rubicon pour �tre affubl�s d’�pith�tes aussi grossiers qu’infamants de �n�gationnistes�? Cette pratique d�testable doit cesser.

L’auteur, Dr. Augustin Baziramwabo, est Pr�sident de la Communaut� des immigrants rwandais de la r�gion d’Ottawa-Gatineau (CIRO)

[Cyberpresse]
� Copyright Cyberpresse

septembre 4, 2010   1 Comment