Tribune d'Information sur le Rwanda

Visite de la Gouverneure G�n�rale du Canada au Rwanda : quels enjeux?


par Dr. Augustin Baziramwabo.

La Gouverneure G�n�rale du Canada, Micha�lle Jean, effectue une tourn�e de dix jours en Afrique, tourn�e qui la conduira au Rwanda du 21 au 22 avril prochain.

Cette visite qui se d�roule alors que les Rwandais comm�morent le 16e anniversaire du drame rwandais, – l�attentat le 6 avril 1994 contre l�avion de l�ancien chef de l��tat Juv�nal Habyarimana et le g�nocide rwandais qui a suivi -, devrait �tre l�occasion, pour Mme Jean, d�exprimer sa solidarit� avec ce peuple meurtri.
Au-del� des int�r�ts que le Canada est l�gitimement en droit de sauvegarder en envoyant la gouverneure g�n�rale dans la r�gion, d�autres enjeux devraient retenir l�attention de Mme Jean au cours de son p�riple en sol rwandais.
Pour illustrer notre propos, nous en retiendrons trois.

D�mocratie

Le premier enjeu concerne la d�mocratie.
La guerre �de lib�ration� d�clench�e par le Front Patriotique Rwandais (FPR) le 1er octobre 1990 et qui a conduit au g�nocide rwandais de 1994, avait pour but, aux dires de ses initiateurs, d��instaurer la d�mocratie au Rwanda�.
Seize ans plus tard, l��tat des lieux est calamiteux :
- l�espace politique est verrouill� � double tour par diff�rentes dispositions “l�gales” comme celle qui oblige toute formation politique � faire parti du “forum des partis” domin� par le FPR au pouvoir ;
- le pays vit le totalitarisme et les affres d�un parti-�tat (le FPR pour ne pas le nommer) ;
- les droits humains sont constamment bafou�s ;
- l�instrumentalisation du g�nocide rwandais, qui a conduit � des proc�s sommaires, brime les droits et libert�s �l�mentaires des citoyens ;
- le foss� entre une minorit� opulente et une masse populaire d�munie se creuse constamment ;
- une politique d�lib�r�e d�affamer la population dans les campagnes o� les paysans sont forc�s de cultiver des produits destin�s � l�exportation (comme les fleurs) alors qu�ils meurent de faim faute de produits vivriers ;
- enfin, les �v�nements r�cents (explosion de grenades dans la capitale rwandaise) montrent que le pouvoir de Paul Kagame n�a rien perdu de ses r�flexes prompts � manier aussi bien la violence que les conditions pour la justifier.

Aussi les Rwandais assistent-ils impuissants � un multipartisme de fa�ade dont ils se seraient bien pass�s vu la gravit� des probl�mes de gouvernance auxquels ils sont confront�s au quotidien.

Prochainement, ils se rendront aux urnes pour les pr�sidentielles 2010 pr�vues au mois d�ao�t. Mais le r�tr�cissement de l�espace politique au Rwanda leur privera � coup s�r de s�exprimer librement.

Alors que plusieurs partis factices se sont fait enregistrer sans difficult�s, les FDU (Forces D�mocratiques Unifi�es) de Mme Victoire Ingabire, la figure de proue de l�opposition rwandaise, n�ont m�me pas �t� autoris�es � tenir leur congr�s constitutif.

Rentr�e d�exil en janvier dernier pour faire enregistrer son parti, Mme Ingabire fait l�objet de harc�lements et de tracasseries administratives et polici�res incessantes.

Jouant avec une certaine rh�torique confuse, les autorit�s rwandaises accusent aujourd�hui Mme Ingabire de �divisionnisme�, de �n�gationnisme� et de v�hiculer l� �id�ologie g�nocidaire�.

Ces accusations constituent une arme r�guli�rement brandie par le FPR � l�endroit de ses concurrents politiques dans le but de les disqualifier pour la prochaine pr�sidentielle, m�re de toutes les �lections dans le syst�me rwandais.

Libert� d�expression

Le deuxi�me enjeu a trait � la libert� d�expression.
Seuls les m�dias �qui mangent dans la main du pouvoir� ont droit au chapitre pour vanter les m�rites du r�gime.

Le Pr�sident Kagame vient d�interdire deux journaux locaux, �Umuseso� et �Umuvugizi�.
Ces hebdomadaires qui paraissent en langue Kinyarwanda (langue locale) �taient tr�s appr�ci�s des Rwandais qui, en majorit�, ne parlent pas anglais et qui ont vu, sans �tre consult�s, ce dernier devenir la 2� langue officielle au d�triment du fran�ais, jusque-l� utilis� dans l�administration et l�enseignement � tous les niveaux.
De quoi donner le tournis au monde �pris de libert� !
Ces deux journaux, on l�aura devin�, �taient les seuls � pouvoir d�noncer les errements du pouvoir incarn� par Paul Kagame.

La gouverneure g�n�rale sera-t-elle en mesure d��voquer ces questions �pineuses avec les autorit�s rwandaises, – tr�s peu habit�es par le doute -, qui donnent l�impression que gouverner le Rwanda leur revient de droit divin? Sera-t-elle en mesure de rencontrer l�opposition rwandaise?

Justice

Le troisi�me enjeu, pierre d�assise d�une d�mocratie digne de ce nom, concerne la justice.
Les tribunaux populaires �Gacaca� avaient �t� cr��s comme un suppl�tif pragmatique au syst�me judiciaire classique.
Le bilan de ces tribunaux est lui aussi des plus mitig�s.
Apr�s environ dix ann�es d�existence, ces tribunaux ont m�rit� � juste titre le qualificatif de �justice du vainqueur� et, dans biens des cas, sont devenus un v�hicule de corruption, une occasion de spoliation de biens d�autrui et, enfin, un outil de r�pression continue.

M�me si les autorit�s rwandaises n�osent pas l�admettre, si ces tribunaux avaient �t� lanc�s sous les pr�misses d�une vision politique de r�conciliation v�ritable, ils auraient pu op�rer dans un contexte susceptible de leur garantir plus de succ�s.

Le d�ficit de cr�dibilit� dont souffre le syst�me judiciaire rwandais est un poison lent mais redoutable qui menace le Rwanda.

Mme Jean pourra-t-elle aborder, avec la franchise qu�on lui reconna�t, avec ses interlocuteurs, le g�chis de ces tribunaux dans l�exercice de r�conciliation des Rwandais ?

La communaut� rwandaise du Canada ne saurait s��riger contre les vertus de la visite de Mme Jean au Rwanda. Ni contre le l�gitime devoir du Canada de d�fendre ses int�r�ts dans la r�gion des Grands-Lacs africains.
Mais elle est en droit de demander au gouvernement canadien, par l�entremise de la gouverneure g�n�rale, d��viter d��tre une caution morale d�une dictature qui ne dit pas son nom.

Mme Jean devrait �tre une voix forte de tous les �sans-voix� au Rwanda en appelant de tous ses v�ux l�ouverture de l�espace politique dans ce pays.

Sa visite contribuerait d�s lors � sauver le Rwanda des fant�mes du pass�, – toujours en embuscade -, qui pourraient encore plonger le pays dans une autre catastrophe.
Dr. Augustin Baziramwabo, Pr�sident

Communaut� des immigrants rwandais de la r�gion d�Ottawa-Gatineau (CIRO)
20/04/2010

[Texte paru �galement dans le journal canadien Le Soleil (cyberpresse.ca).]

avril 21, 2010   No Comments