Tribune d'Information sur le Rwanda

France-Rwanda: Le casse-t�te de la veuve Habyarimana

Agathe Habyarimana, veuve du pr�sident rwandais pendant le g�nocide, vit en France. Un titre de s�jour vient de lui �tre de nouveau refus� mais elle ne peut quitter le pays. Le Rwanda a fait une demande d’extradition qui sera examin�e fin juin 2011.

Président Juvénal Habyarimana et son épouse Agathe Kanziga

Pr�sident Habyarimana et son �pouse Agathe Kanziga

C�est peut-�tre la plus c�l�bre sans-papiers de France, m�me si beaucoup de gens ignorent encore son existence et son �trange situation juridico-administrative: Agathe Habyarimana, veuve du pr�sident rwandais Juv�nal Habyarimana, est en effet aujourd�hui � la fois menac�e de reconduite � la fronti�re et� interdite de quitter le territoire fran�ais.

Th�oriquement, la menace d�une reconduite � la fronti�re est devenue un peu plus concr�te mardi 24 mai quand la pr�fecture de l�Essonne a fait savoir qu�elle avait rejet� deux semaines plus t�t la demande d’Agathe Habyarimana. Depuis d�cembre 2009, elle sollicitait un titre de s�jour, au titre de la “vie priv�e et familiale” (plusieurs de ses enfants sont d�sormais Fran�ais).

Pas question, a r�pondu la pr�fecture, qui avait assimil� sa pr�sence dans le d�partement � �une menace pour l�ordre public�. Si elle n�avait pas demand� elle-m�me ce titre de s�jour, elle aurait d�ailleurs peut-�tre �vit� ce camouflet, et les risques qu�il enclenche.

Car, depuis treize ans, elle vit de mani�re permanente en France, sans aucun papier l�y autorisant. Or tout le monde sait o� elle habite, tout le monde sait qu�elle n�a jamais obtenu la r�gularisation de sa situation. Il est vrai qu�� chaque fois qu�elle a essay�, on l�a renvoy�e aux fant�mes de son pass�.

Car ce n�est pas la premi�re fois que l�ancienne premi�re dame du Rwanda se heurte � l�administration fran�aise. A chaque fois, elle exploite tous les recours possibles, pour l�instant sans succ�s. Bien au contraire�

Un �r�le central� dans le g�nocide

Pour son titre de s�jour, son avocat Maitre Philippe Meilhac a bataill� pendant dix mois contre la pr�fecture de l�Essonne. Laquelle avait d�j� rejet� une premi�re fois cette demande en juillet 2010. Cinq mois plus tard, en d�cembre 2010, le tribunal administratif de Versailles semble donner raison � l�avocat, en demandant � la pr�fecture de r�examiner sa d�cision. Mais, finalement, celle-ci persiste et signe: pas de carte de s�jour pour cette grand-m�re de pr�s de 69 ans, qui vit dans une grande maison, au c�ur d�un quartier r�sidentiel de Courcouronnes.

Ce rejet en rappelle un autre: il y a quatre ans, en 2007, la veuve du pr�sident Habyarimana tente un recours pour obtenir l�asile politique en France. Malgr� une demande en 2004, l�Office fran�ais des r�fugi�s et apatrides (Ofpra) ne lui avait jamais r�pondu! La Cour nationale du droit d�asile va donc prendre le relais. Et lui opposer un refus cinglant. Ultime tentative, le pourvoi en cassation devant le Conseil d�Etat sera aussi inutile que contre-productif. Car la plus haute administration fran�aise confirmera, en octobre 2009, la d�cision de la Cour nationale du droit d�asile. En des termes qui ne laissent aucun doute sur les raisons de ce rejet, confirmant les soup�ons selon lesquels �Mme Habyarimana avait jou� un r�le central au sein du premier cercle du pouvoir rwandais et pris part � ce titre � la pr�paration et � la planification du g�nocide�.

D�j� � ce stade la situation peut para�tre incroyable: voil� une femme ouvertement soup�onn�e d�avoir jou� un r�le majeur (�pr�paration et planification� affirme le Conseil d�Etat) dans le dernier g�nocide du XXe si�cle, celui qui en 1994 a extermin� la minorit� Tutsi du Rwanda, ainsi que tous ceux parmi les Hutu, l�ethnie majoritaire, qui s�opposaient � la solution finale.

Or, malgr� ces soup�ons d�une gravit� exceptionnelle, elle reste en libert�. Mais� sans papiers, puisque l�administration fran�aise prend visiblement tr�s au s�rieux ses accusations et r�agit en cons�quence, l� o� la justice et la police semblent t�tanis�es.

Pourtant Agathe Habyarimana, qu�on appelle aussi Agathe Kanziga (au Rwanda, non seulement le pr�nom, mais aussi le nom, sont individuels), int�resse aussi la justice. Ce qui lui vaut d�ailleurs aujourd�hui cette interdiction de quitter le territoire.

Un cas complexe pour la France

En France, la curiosit� des juges a pu sembler tardive et lente. A leur d�charge, il faut rappeler qu’Agathe Habyarimana quitte d�finitivement le Rwanda dans un avion militaire fran�ais, le 9 avril 1994. Apr�s un transit � Bangui (R�publique centrafricaine), elle d�barque quelques jours plus tard � Paris o� les autorit�s fran�aises lui d�roulent le tapis rouge. N�est-elle pas la veuve d�un Pr�sident qui vient d��tre assassin� et qui �tait depuis longtemps l�alli� de Paris?

C�est bien le probl�me. Car la d�rive ethniste du r�gime Habyarimana �tait d�nonc�e bien avant le g�nocide. Mais � Paris, on fait la sourde oreille et l�on �sous-estime le caract�re autoritaire, ethnique et raciste� du pouvoir en place, comme le reconna�tra timidement en 1998 une Commission parlementaire dirig�e par Paul Quil�s.

Cet aveuglement sera lourd de cons�quences. Il explique aussi la difficult� de la France � g�rer le cas d�Agathe Habyarimana.

Or bien avant le g�nocide, d�s le d�but des ann�es 1990, le r�le occulte de la femme du Pr�sident et de ses proches sera plusieurs fois d�nonc�. C�est � cette �poque qu�on commence � parler de l�Akazu: �la petite maison�. Un groupe form� autour d�Agathe Kanziga, aussi affairiste que mafieux voire, selon certains, quasi mystique. La veuve du Pr�sident a toujours ni� l�existence de cette cellule myst�rieuse, mais certains proches du pouvoir en confirmeront l�existence, jusque devant le Tribunal p�nal international pour le Rwanda (TPIR) � Arusha, en Tanzanie.

Un ancien haut fonctionnaire rwandais pr�f�rera, lui, l�appellation de �r�seau z�ro�, en r�f�rence � l�un des fr�res d�Agathe, le fameux �Monsieur Z�. Tout en �voquant les m�mes pratiques: corruption, assassinats, discours violemment anti-tutsi. Mais Christophe Mfizi, l’auteur du rapport sur ce r�seau pour le TPIR, d�peint aussi une structure informelle, o� les ordres ne sont jamais �crits, plut�t �murmur�s� � l�oreille, lors de r�unions de famille.

La charge de la preuve

Et c�est bien l� le probl�me: que peut-on prouver dans ce contexte? Agathe Habyarimana arrive � Paris au d�but des massacres. Elle n��tait donc pas sur place quand le g�nocide a lieu au pays des Mille Collines. Mais que s�est-il pass� avant?

Devant la Cour nationale du droit d�asile en 2007, elle affirme ne s��tre jamais int�ress�e � la politique, ne jamais avoir �cout� la radio, pr�f�rant s�occuper de ses poules et de ses enfants. Le Tribunal d�Arusha, qui avait entam� une enqu�te sur elle, semble avoir finalement jet� l��ponge en 2004.

Pourtant, devant la Commission du droit d�asile, le rapporteur dresse un r�quisitoire implacable, � tel point que les journalistes pr�sents eurent l�impression d�assister � un proc�s avant l�heure!

Un mois plus tard, une association bas�e � Reims, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), porte plainte contre Agathe Kanziga. Plainte accept�e par la justice fran�aise qui r�cup�re cet encombrant dossier.

Il faudra encore attendre la normalisation des relations franco-rwandaises, tr�s tendues depuis la fin du g�nocide, pour que les deux juges parisiennes en charge de l�enqu�te amorcent des investigations difficiles.

Fabienne Pouss et Mich�le Ganascia comptent notamment sur l�aide du Tribunal d�Arusha qui a jug� le fr�re a�n� d�Agathe Habyarimana: le fameux �Monsieur Z�, de son vrai nom Protais Zigiraniyrazo. Condamn� � vingt ans de r�clusion en premi�re instance, il sera, � la surprise g�n�rale, acquitt� en appel. Mais, depuis novembre 2009, il est toujours � Arusha: aucun pays n�accepte de l�accueillir.

Est-ce le sort qui attend aussi sa s�ur Agathe, en cas de reconduite � la fronti�re? Il y a bien un pays qui souhaite sa pr�sence: son pays natal, le Rwanda. Tr�s vite apr�s le g�nocide, elle y figure en t�te de liste des suspects les plus recherch�s. Pourtant Kigali attendra l�automne 2009 pour demander son extradition de France.

L� encore, la r�conciliation entre les deux pays a jou� et c�est la diplomatie qui impose le timing de la justice. Nicolas Sarkozy est, en f�vrier 2010, le premier chef d�Etat fran�ais � se rendre au Rwanda depuis le g�nocide. Quelques jours apr�s son retour, le 2 mars 2010, Agathe Habyarimana est pour la premi�re fois bri�vement arr�t�e et plac�e sous contr�le judiciaire.

La demande d�extradition vers le Rwanda sera finalement examin�e le 29 juin 2011 devant la cour d�appel de Paris. Sera-t-elle encore en France? Th�oriquement, la d�cision de la pr�fecture de l�Essonne aurait pu conduire � l�expulser avant cette audience. Mais outre les recours pos�s par ses avocats, il faudrait d�abord lui trouver un pays d�accueil� Et m�me le retour au Rwanda semble compromis, la France n�ayant jamais extrad� jusqu�� pr�sent un ressortissant rwandais vers ce pays malgr� plusieurs demandes.

L�imbroglio juridico-administratif risque donc de durer, suscitant pol�miques et� curiosit�: Un documentaire sera diffus� prochainement France2 dans la s�rie La Grande Traque : il arrive � point pour rappeler les zones d�ombre qui entourent la vieille dame de Courcouronnes� On y voit Madame Agathe, interview�e chez son avocat. Tr�s souvent, elle rit et hausse les �paules. Mais l�enqu�te au Rwanda d�voile des regards plus sombres� Grand-m�re martyr ou �menace pour l�ordre public�? A chacun de juger.

Maria Malagardis
[Africatime]

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