Tribune d'Information sur le Rwanda

Les g�nocides au Rwanda et au Congo (RDC) et leurs manipulations sont le r�sultat des batailles g�ostrat�giques intenses en Afrique


par Charles Onana.

A la suite de la conf�rence, tr�s courue, qu�il a donn�e le 10 septembre dernier � Yaound�, le journaliste et essayiste franco-camerounais qui s�est illustr� ces 10 derni�res ann�es sur ses enqu�tes sur le Rwanda et les conflits dans les Grandes Lacs, met en exergue la �strat�gie� mise sur pied pour d�stabiliser la zone Afrique centrale en passant par le Rwanda.

Charles Onana

Charles Onana.

Au moment o� vous teniez votre conf�rence � Yaound�, Paul Kagame, le pr�sident rwandais, mena�ait les Nations Unies de retirer ses troupes du Darfour si l�organisation mondiale venait � publier son rapport qui accuserait son arm�e de pires exactions au Congo. Etait-ce le pr�texte de votre prestation � Yaound�, ou un simple hasard de calendrier ?

Je peux dire que c�est juste une co�ncidence de calendrier : lorsque j�ai �t� invit� par le journal Mutations pour cette conf�rence au Cameroun, personne ne savait qu�on allait avoir des fuites dans le journal Le Monde sur le rapport de l�ONU en RDC. La pression que fait Paul Kagame de retirer ses troupes du Darfour si l�ONU publiait ce rapport est inacceptable ! Ce dont il est question, aujourd�hui, ce sont des millions de morts au Congo et le pillage des ressources dans ce pays.

Je suis ravi que le rapport des Nations Unies confirme mes investigations sur le Congo. M. Kagame, s�il n�a rien � se reprocher, pourquoi fait-il du chantage � l�ONU ?

Quelle est la cr�dibilit� des proc�s sur les g�nocidaires men�s par le Tribunal p�nal international d�Arusha sur le Rwanda ?

Pour avoir eu des confidences de Carla Del Ponte � l�int�rieur de ce tribunal, je peux conclure aujourd�hui que ce tribunal est une v�ritable mascarade judiciaire. Il y a certes des juges qui sont honn�tes dans ce tribunal et qui essaient de faire leur travail. Comment pouvez-vous expliquer que seuls les Hutus sont devant ce tribunal, et qu�aucun criminel Tutsi ne s�y retrouve ? Les �v�nements de 1994 impliquent � la fois l�arm�e rebelle Fpr et l�arm�e gouvernementale de Habyarimana, mais il n�y a que les Hutus dans ce tribunal. Ce qu�on ne dit pas assez, c�est que dans la mission du Tpir, il y a la r�conciliation nationale. Comment pouvez-vous tendre � cela, si vous n�accusez qu�un groupe au d�triment de l�autre ?

Est-ce pour cette raison que vous consid�rez que le g�nocide est le plus grand mensonge sur l�Afrique ?

Tout � fait ! C�est l�un des plus grands mensonges et l�une des plus grandes manipulations de l�Afrique du XX�me si�cle. On nous a fait croire que le g�nocide du Rwanda avait �t� planifi� par les Hutus. Au jour d�aujourd�hui, on constate qu�il n�y a personne, au Tpir, qui a �t� condamn� pour avoir planifi� le g�nocide. On constate en m�me temps qu�en 2005, il y a un rapport interne et confidentiel des Nations Unies qui montre qu�il n�y a aucun d�but de commencement de preuve sur la planification du g�nocide. Ce que l�on ne veut pas dire, c�est qu�il s�agit d�un coup d�Etat pour renverser le pr�sident en exercice, Juv�nal Habyarimana, au profit de Paul Kagame, qui a b�n�fici� de la mort du pr�sident Habyarimana.

C��tait une fa�on de mettre en place une strat�gie qui permette � Paul Kagame de mettre sur pied une base arri�re pour la conqu�te des minerais, notamment l�uranium et le coltan au Congo. Ce qui, aujourd�hui, d�montre clairement que l�ensemble des multinationales qui travaillent sur le coltan, l�ach�tent � vil prix au Rwanda ; ce pays est devenu un exportateur du coltan et de l�or, alors qu�il n�a pas du tout ces minerais dans son sous-sol. Voil� la mission qui a �t� d�volue � M. Kagame et � son gouvernement. Ceci est tr�s dangereux pour l�Afrique centrale, parce que les pays p�troliers de la sous-r�gion vont forc�ment �tre menac�s comme le Congo, si leurs dirigeants ne font pas attention.

Certains estiment que les conflits, dans les Grands Lacs, c�est davantage une bataille g�opolitique et g�ostrat�gique�

C�est une bataille g�opolitique intense dans laquelle vous avez des Fran�ais, des Anglais et des Am�ricains. Ces derniers sont tr�s nerveux, et veulent reprendre l�ancienne chasse gard�e de la France. Vous avez �galement les Chinois, qui arrivent de fa�on tr�s organis�e et qui s�implantent solidement en Afrique. Tout cela fait que le g�teau va devenir petit, pour ceux-l� qui avaient tout gratuitement et facilement. Il va donc falloir n�gocier.

Pour �viter de se retrouver dans des situations de n�gociations, on cr�e l�instabilit� parce que, dans ce genre de situation, il n�y a pas d�Etat pour organiser le commerce des mati�res premi�res et, avec les guerres, on peut plut�t vendre des armes, faire des trafics� emp�cher des r�voltes populaires parce que les gens sont plut�t attach�s � leur s�curit�.

Vos �crits sont tr�s souvent ax�s sur le r�gime Kagame. Ne craignez-vous pas qu�� un moment, votre opini�tret� apparaisse comme un conflit de personnes avec le pr�sident rwandais ?

J�ai toujours dit que, si c��tait le pr�sident Kagame qui avait �t� victime d�un attentat le 6 avril 1994, j�aurais fait exactement la m�me enqu�te. Quand je commen�ais mon enqu�te, je ne savais pas que c��tait le pr�sident Kagame qui �tait responsable de cela. Je ne savais pas qu�il voulait, plus tard, piller les ressources du Congo. Les arguments que j�avance, ils sont les uns apr�s les autres indestructibles. Dans cette histoire, je suis tout simplement attach� � ce que les Africains comprennent qu�il ne faut pas sous-estimer ce qui est en train de se passer.

Comment cela ?

En 2004, quand j�ai �crit mon livre, les Congolais avaient sous-estim� ce qui �tait en train de se passer dans leur pays avec l�arm�e rwandaise. Quelque 10 ans apr�s, ils se retrouvent avec 6 millions de morts. Et ce n�est pas termin�. Aujourd�hui, par exemple, le Cameroun a de nombreux r�fugi�s hutus. Les r�fugi�s hutus, pour le Rwanda, ont �t� un pr�texte pour attaquer militairement le Congo. Je ne veux pas que le Cameroun se retrouve dans la m�me situation que le Congo. Je ne veux pas que d�autres pays en Afrique centrale, � l�exemple du Congo Brazzaville, qui a �galement des r�fugi�s hutus, se retrouvent dans cette m�me situation.

Doit-on penser qu�il existe une strat�gie de conqu�te de l�Afrique centrale, soigneusement pr�par�e par le Rwanda ?

Je pense plut�t � une volont� de coloniser l�Afrique centrale sous le r�gime de Paul Kagame, ou, en tout cas, sous le pouvoir qui lui ressemble. C�est sur cela que je veux attirer l�attention des gens dans la r�gion pour leur dire : ce qui se passe a �t� r�fl�chi, pens� et la strat�gie qui est sur le terrain vous le d�montre tous les jours, y compris avec les voyages politiques. Vous ne voyez pas, par exemple, les m�mes voyages politiques faits vis-�-vis d�autres dirigeants africains qu�on menace plut�t d�emprisonner ou d�arr�ter. Je veux tout simplement que les Africains comprennent le jeu qui est en train de se d�rouler sur leurs t�tes. C�est un jeu tr�s complexe mais tr�s efficace.

La France a r�cemment envoy� des juges pour enqu�ter sur l�attentat du 06 avril 1994�

Les avocats des veuves fran�aises ont d�pos� une plainte en 1997, et cette plainte suit son cours. Les avocats veulent savoir la v�rit�, et M. Sarkozy est dans une situation o� il veut, d�un c�t�, reprendre les relations diplomatiques avec le Rwanda, et de l�autre, il est oblig� de se rendre compte que les juges fran�ais doivent quand m�me faire leur travail. Le d�part du juge ne va pas, en ce qui me concerne, apporter des r�v�lations sur la question. Mais j�ose simplement esp�rer que le fait d�aller voir le lieu de l�attentat, de faire une expertise balistique, permettrait tout simplement de confirmer un certain nombre de choses sur le plan technique que l�on sait d�j� et de faire conna�tre la v�rit�.

Pensez-vous que cette v�rit� finira par �tre connue ?

Elle est d�j� connue, � travers mes ouvrages, qui sont confirm�s par des enqu�tes judiciaires. Ce qui manque, c�est la reconnaissance officielle de cette v�rit�. On en est l�. Ce n�est pas que les gens ne savent pas ce qui s�est pass�. Aujourd�hui, on le sait. Dans le cas de l�assassinat de Patrice Lumumba, les Africains ont attendu de longues ann�es pour savoir ce qui s�est pass�. Mais aujourd�hui, je ne veux pas que les Africains attendent 50 ans pour savoir pourquoi Habyarimana a �t� tu�, et qui l�a assassin�.

Les Nations Unies d�veloppent la th�se du camouflage de l�attentat de Habyarimana, qui est en fait le d�clencheur du g�nocide�

C�est les Nations Unies qui disent que l�attentat est le d�clencheur du g�nocide. Comment peuvent-elles le dire et ne pas vouloir parler de l�attentat ? Il y a une contradiction !

Le g�nocide a eu lieu sous Boutros Boutros Ghali, comme secr�taire g�n�ral de l�ONU. Koffi Annan, qui l�a remplac�, a �t� accus� de camoufler des �l�ments. La responsabilit� des Africains est-elle ainsi engag�e dans cette affaire?

Boutros Boutros Ghali n�avait pas accept� de marcher dans la combine am�ricaine, mais celui qui �tait son collaborateur le plus �troit charg� des op�rations de maintien de la paix a eu une promotion : il est devenu Sg de l�ONU et vous savez qu�aux Nations Unies, les nominations par continent sont des nominations rotatives. Mais pour une fois, l�Afrique a eu successivement � trois reprises la t�te du Secr�tariat g�n�ral de l�ONU, puisque le mandat de Koffi Annan avait �t� reconduit. Au passage, M. Annan a eu le prix Nobel de la paix, mais je ne me souviens pas d�un conflit qui lui a valu de recevoir ce prix. Dans le conflit qu�il a vraiment g�r�, celui du Rwanda, il n�y a personne qui m�rite d�avoir eu un prix Nobel de la paix.

Qu�est-ce qui motive votre passion pour le Rwanda ?

C�est tout simplement que je veux partager, avec le public, 10 ann�es de travail difficile, de recherches approfondies et d��changes avec des gens du d�partement d�Etat am�ricain. J�ai eu des confidences du procureur Carla Del Ponte, et je pense que j�ai quand m�me assembl�, pendant toutes ces ann�es, des informations in�dites venant de sources vari�es. Garder tous ces �l�ments pour moi n�a aucun sens, aucun int�r�t. C�est pour cela que je mets ces �l�ments � la disposition du public pour que, demain, les gens ne se disent pas qu�ils ne savaient pas. Ce qui p�che beaucoup, dans le continent africain, c�est l�ignorance des grandes strat�gies internationales et la compr�hension intime de la dimension g�opolitique. Je souhaite qu�ils aient un d�codeur pour mieux analyser la situation. Ils ne doivent pas rester comme des t�l�spectateurs sans d�codeur, devant une cha�ne crypt�e.

Entretien men� par Dorine Ekw�
[Quotidien Mutations]

septembre 16, 2010   No Comments