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par Agn�s Gruda – La Presse (cyberpresse.ca)

Victoire Ingabire, Pr�sident de FDU-Inkingi

Kigali – Accus�e d’id�ologie g�nocidaire et d’association avec des groupes terroristes, l’opposante rwandaise Victoire Ingabire devra faire face � la justice. La Presse a rencontr� cette rivale du pr�sident Paul Kagame la semaine derni�re � Kigali.

Il y a des jours o� Victoire Ingabire se demande si elle n’a pas perdu la t�te. L’automne dernier, elle menait encore une vie confortable � Amsterdam, avec son mari et leurs trois enfants.

Puis elle est rentr�e dans son pays natal, le Rwanda, pour faire campagne contre le pr�sident Paul Kagame � l’�lection d’ao�t prochain.

Le jour m�me de son arriv�e, en janvier, Victoire Ingabire a d�pos� une gerbe de fleurs au centre comm�moratif du g�nocide, � Kigali. Et elle y a tenu des propos qui, aux yeux du r�gime rwandais, tiennent de la pure provocation.

Car si elle a condamn� le g�nocide des Tutsis, cette minorit� qui a �t� syst�matiquement massacr�e entre avril et juillet 1994, Victoire Ingabire a aussi rappel� qu’ils n’avaient pas �t� les seules victimes de ces 100 jours de fureur. Et que de nombreux Hutus ont subi des crimes contre l’humanit� qui doivent �tre reconnus et punis.

Depuis le g�nocide, le gouvernement de Kigali a pour politique d’occulter les divisions ethniques entre Rwandais. Au nom de la r�conciliation, la simple mention de mots tels que �Hutu� ou �Tutsi� suscite des regards r�probateurs. �Chut!� vous ordonnent vos interlocuteurs en jetant un coup d’oeil inquiet autour d’eux.

En faisant allusion aux exactions que le Front patriotique rwandais du g�n�ral Kagame a fait subir aux Hutus, � l’�poque du g�nocide, �Victoire Ingabire a appuy� sur un bouton rouge�, r�sume un diplomate �tranger.

Cette Hutu de 43 ans, qui avait quitt� le Rwanda peu avant le g�nocide, vient donc d’�tre inculp�e des pires crimes: association avec un groupe terroriste, id�ologie g�nocidaire, n�gationnisme, �divisionnisme ethnique.� Elle risque 25 ans de prison.

Une double v�rit�

Victoire Ingabire a �t� lib�r�e sous caution la semaine derni�re, en attendant son proc�s. Elle m’a re�ue le lendemain de sa lib�ration, dans la spacieuse maison o� elle vit � Kigali.

�Il faut regarder la v�rit� en face�, a-t-elle plaid�. Et cette v�rit�, selon elle, c’est que les divisions entre les Hutus et les Tutsis persistent au Rwanda. Et que les Hutus se sentent exclus des lieux de d�cision, ce qui ne pr�sage rien de bon pour l’avenir.

�Car le grand probl�me, au Rwanda, ce ne sont pas les ethnies, mais le partage du pouvoir�, souligne l’opposante rwandaise. C’est un partage de pouvoir in�quitable qui a g�n�r� le cycle de violence qui explose de fa�on r�currente depuis que le pays a acc�d� � l’ind�pendance, en 1961. Et c’est ce cycle de violence qu’elle souhaite rompre. Sinon, avertit-elle, on risque une nouvelle explosion.

Dans les ann�es qui ont suivi le g�nocide, les souffrances des Hutus �taient un sujet trop sensible pour pouvoir �tre discut� sur la place publique, admet Victoire Ingabire. Les Tutsis qui avaient vu leurs voisins prendre les armes pour les exterminer pouvaient difficilement faire preuve d’une telle empathie.

�Je les comprends�, dit Victoire Ingabire, qui a perdu deux proches pendant le g�nocide, dont son propre fr�re, qui a �t� confondu avec un Tutsi.

Mais avec le temps, croit-elle, le r�gime Kagame aurait d� adopter une r�forme constitutionnelle de mani�re � mieux inclure les deux groupes. En omettant cette r�forme, le pr�sident Kagame �a refus� de tirer les le�ons de l’histoire.�

Seize ann�es ont pass� depuis le g�nocide. �C’est assez. On ne peut plus avancer avec une seule v�rit�, plaide Victoire Ingabire.

�l�gante avec sa robe rose perle et son veston taupe, elle raconte qu’avant son retour d’exil, des amis l’avaient avertie qu’elle aurait la police rwandaise � ses trousses. Elle ne les avait pas crus.

Un jour o� elle accordait une entrevue � CNN, elle s’est rendu compte qu’elle �tait surveill�e. Depuis, elle ne rencontre plus les journalistes que chez elle. Dans sa rue, des �gardes de s�curit� semblent veiller sur les maisons de ses voisins. Mais elle se doute bien qu’ils sont l� pour l’observer.

Un pr�texte?

Les accusations qui p�sent sur Victoire Ingabire ne servent-elles pas d’abord et avant tout � museler l’opposition? Pas du tout, proteste la ministre des Affaires �trang�res du Rwanda, Louise Mushikiwabo.

Celle-ci reproche � Victoire Ingabire d’avoir d�j� qualifi� la trag�die de 1994 de �double g�nocide� – ce qui �quivaut � minimiser la tentative d’extermination des Tutsis.

�Le g�nocide n’est pas un jouet et Victoire Ingabire n’est pas une d�mocrate, c’est une d�magogue�, tranche la ministre.

Mais des organisations de d�fense des droits, comme Human Rights Watch, jugent que le combat contre l’id�ologie g�nocidaire sert aujourd’hui de pr�texte pour faire taire toute voix critique, � la veille du scrutin pr�sidentiel.

�Victoire Ingabire est bien t�m�raire�, note Pascal Nyilibakwe, qui dirige la Ligue de d�fense des droits de la personne dans la r�gion des Grands Lacs. Celui-ci croit qu’en d�ployant les grands moyens, le r�gime veut surtout garder son opposante � l’�cart du scrutin.

Victoire Ingabire n’est pas la seule � subir les foudres du gouvernement. Un autre opposant, Bernard Ntaganda, dont le parti a fait alliance avec l’Union des forces d�mocratiques rwandaises de Mme Ingabire, s’attend � �tre arr�t� d’un jour � l’autre. Le S�nat a r�clam� qu’il soit traduit devant la justice.

Deux journaux ind�pendants viennent aussi d’�tre suspendus. Et la repr�sentante de Human Rights Watch a d� plier bagage, son visa n’ayant pas �t� renouvel�.

Victoire Ingabire, elle, avoue que depuis son inculpation, il lui arrive de douter de sa d�cision de rentrer au pays. �Parfois, je me demande si je ne suis pas folle. Mais je ne veux pas abandonner. Le Rwanda doit se lib�rer de son histoire.�

[Source: cyberpresse.ca.]