Tribune d'Information sur le Rwanda

Rwanda: Mon ami Tutsi dans les mains du gang de la mort


Deo Mushayidi entre les mains du Gang de la Mort

Deo Mushayidi entre les mains du Gang de la Mort

par Charles Onana

Qui arr�tera le cartel du crime qui s�vit aujourd�hui � Kigali ? Qui mettra un terme au calvaire sanglant des Tutsi, des Hutu et des Congolais ? Qui rendra justice aux Fran�ais, aux Espagnols et aux Canadiens tomb�s sous les missiles et les balles des tueurs qui ont pris, par la force, le pouvoir en 1994 au Rwanda ?

Pour l�instant, le silence r�gne. Peut-�tre aussi un certain malaise ! Face � l�escalade meurtri�re du pouvoir rwandais, face aux fuites en cascade de militaires et de diplomates rwandais � l��tranger, face aux multiples pers�cutions d�opposants politiques, face aux arrestations arbitraires de citoyens rwandais dans leurs pays comme � l��tranger, les puissances occidentales qui soutiennent le r�gime de Kigali font profil bas. Pourtant, la vie de nombreux Rwandais est, � l�int�rieur comme l�ext�rieur, plus que jamais menac�e. Peu importe qu�ils soient Hutu ou Tutsi.

Depuis l��poque des partis uniques, l�Afrique n�a pas connu une dictature aussi f�roce et un pouvoir aussi cruel. Une situation intenable et forc�ment insupportable pour toutes les victimes de la trag�die de 1994 au Rwanda.

Mon ami et confr�re D�o Mushayidi est une de ces victimes.
Hier, il �tait membre du Front Patriotique Rwandais (FPR). Aujourd�hui, il est victime du r�gime-FPR.
Hier c��tait des extr�mistes hutu qui ex�cutaient les membres de sa famille, aujourd�hui ce sont les extr�mistes tutsi au pouvoir qui s�appr�tent � l�assassiner.
Devant la gravit� de la situation, je ne pouvais pas rester les bras crois�s. Si je r�agis � travers ce texte, c�est pour soutenir mon ami kidnapp� et envoy� au peloton d�ex�cution.

Voici deux semaines que D�o Mushayidi a �t� arr�t� en Burundi avant d��tre d�port� � Kigali, la nouvelle capitale africaine du crime autoris�.
Je n�ai pas voulu r�agir dans la pr�cipitation. Je voulais savoir ce qu�il avait fait et ce qu�on lui reprochait exactement.
Apr�s quelques jours d�attente, le r�gime du chef de l�Etat rwandais, Paul Kagame, a crach� son venin en accusant D�o Mushayidi d�avoir port� ��atteinte � la s�ret� de l’Etat”.
Cette accusation lui a �t� signifi�e lors de sa premi�re comparution devant un juge � Kigali.
Puis, l�accusation a enfl� avec d�autres chefs d’inculpation : “trouble � l�ordre public, usage de faux, association avec un groupe terroriste, r�visionnisme du g�nocide (contre les Tutsis) et divisionnisme”.
Une victime tutsi comme D�o Mushayidi ne pouvait attendre moins des porte-paroles autoproclam�s des Tutsi.
Ce sont ces imposteurs qui gouvernement d�sormais les collines du Rwanda.

Dans quelles circonstances D�o Mushayidi a-t-il �t� arr�t� ? Qui a pris la d�cision de l�envoyer � Kigali ? En vertu de quelle convention internationale a-t-il �t� remis aux autorit�s rwandaises ou plus exactement � Paul Kagame?

Le moins qu�on puisse dire est que rien n�est clair dans cette affaire. Mais, la d�cision tr�s politique d�envoyer D�o Mushayidi au Rwanda est une incitation au meurtre d�opposants rwandais en exil.
Cette initiative met particuli�rement en danger tous les Tutsi qui refusent de se soumettre � l�autoritarisme sanglant de Paul Kagame.

Mon ami Mushayidi est en effet devenu un opposant au r�gime de Paul Kagame apr�s avoir milit� dans son parti au d�but des ann�es 90 en Suisse.
Jusqu�en 1994, avant la prise de pouvoir de Paul Kagame, il repr�sentait le FPR � Gen�ve.
D�s son arriv�e � Kigali, il fut parmi les premiers et rares Tutsi � comprendre ce qu��tait r�ellement le nouveau r�gime de Paul Kagame.

C�est en 1999 � Washington que j�ai rencontr� pour la premi�re fois D�o Mushayidi. Prudent, mesur� et critique, D�o est un journaliste professionnel et un esprit ouvert. Il dirigeait un journal � Kigali et pr�sidait l�association des journalistes rwandais.

Un soir, dans ma chambre d�h�tel � Washington, D�o Mushayidi me mit en garde contre l�image que les m�dias occidentaux donnaient de Paul Kagame et de son r�gime.
Il le connaissait bien pour avoir travaill� avec lui et pour l�avoir vu agir. J��tais d�j� en train d�enqu�ter sur le r�le de Paul Kagame dans l�attentat du 6 avril 1994 contre l�avion de l�ancien pr�sident rwandais, Juvenal Habyarimana. Attentat dans lequel le pr�sident burundais, Cyprien Ntaryamira, et l�ensemble de l��quipage fran�ais avaient trouv� la mort.
D�o Mushayidi avait accept� de collaborer � cette enqu�te malgr� les risques tr�s importants qu�il encourait � Kigali.

Au cours d�un d�ner aux Etats-Unis, il m�a longuement parl� des crimes commis par les rebelles tutsi lors de la prise de Kigali et les multiples assassinats des Hutu en 1995, 1996 et 1997.

Il m�avait �galement fait �tat du projet d�assassinat de l�ancien pr�sident du parlement rwandais, Joseph Sebarenzi, un Tutsi qui luttait contre le r�gime de l�arbitraire au sein du parlement rwandais. � Kagame, m�avait-il dit, voulait assassiner Sebarenzi. Car, il craignait que le pr�sident du parlement, tr�s respect�, lui fasse de l�ombre �. Joseph Sebarenzi a fui le Rwanda et s�est exil� aux Etats-Unis.

Deo Mushayidi m�avait parl� d�autres projets d�assassinats visant aussi d�autres personnalit�s tutsi comme le journaliste Jean Pierre Mugabe, r�fugi� lui aussi aux Etats-Unis, avec qui j�avais beaucoup �chang� sur le dossier de l�attentat et sur les m�thodes violentes de Paul Kagame.
D�o Mushayidi m�avait �galement entretenu des menaces d�assassinat qui pesaient sur lui. Il �tait calme mais pr�occup�.
Nous �tions rest�s en contact et j�avais essay� de l�encourager comme je le pouvais. Le climat dans ce pays �tait ex�crable et il l�est rest�.

L�ann�e suivante, au mois de mars 2000, mon t�l�phone sonne. C�est D�o Mushayidi qui m�appelle de l�ambassade de France � Kigali. D�une voix calme mais anxieuse, il me dit qu�il est en danger de mort. � Ne t�inqui�te pas, ajoute-t-il, un ami fran�ais a pris des dispositions pour m��vacuer en Europe. Je lui ai donn� ton num�ro de t�l�phone au cas o� j�aurais besoin de quelque chose. D�s que j�arrive en Europe, je t�appelle, conclut-il �.
J��tais en effet rassur� de savoir que mon ami se trouvait dans les locaux de l�ambassade de France. C��tait, � ce moment-l�, l�endroit le plus fiable pour sa s�curit�.
Les jours suivants ont �t� difficiles car je ne savais pas si D�o Mushayidi allait r�ussir � quitter Kigali sans entrave.
Mais, une semaine plus tard, je re�us un autre coup de t�l�phone. C��tait � nouveau lui au bout du fil. Il �tait enfin arriv� en Europe et se trouvait loin des sbires de Paul Kagame.
J��tais ravi de savoir que mon ami �tait hors de danger.

Si je raconte cet �pisode aujourd�hui, c�est parce que j�ai l�impression que mon ami a �t� livr� � ceux qui ont voulu l�assassiner en 2000. Tous ces efforts pour le sortir de Kigali ont- ils �t� vains ? Ce fonctionnaire fran�ais qui a sauv� D�o du gang de la mort peut-il �tre entendu par Monsieur Bernard Kouchner, ministre fran�ais des Affaires �trang�res, et Monsieur Nicolas Sarkozy qui appr�cient tant Paul Kagame?
Pour ma part, je remercie ce Fran�ais d�avoir prolong� la vie de D�o Mushayidi et de lui avoir permis de lutter pendant dix ans pour la v�rit� et la justice dans son pays.
Lors du proc�s que Paul Kagame avait intent� contre moi � Paris en 2002 � la sortie de notre livre sur l�attentat du 6 avril 1994, D�o Mushayidi �tait venu me soutenir. Il m�a toujours soutenu face aux multiples attaques dont j�ai �t� l�objet pour avoir os� mettre en lumi�re les crimes de Kagame contre les Hutu, les Tutsi et les Congolais.
Quand il s�est r�fugi� en 2000 en Belgique, il a quitt� le journalisme pour continuer son combat en politique. Il a continu� � pr�ner l��quit� et la justice pour toutes les victimes rwandaises de 1994 (Hutu et Tutsi confondus).
Il a publi� en 2008, avec l�ancien ministre de la D�fense rwandais, le g�n�ral Emmanuel Habyarimana, ancien collaborateur de Paul Kagame en exil en Suisse, un m�morandum adress� aux Conseil de S�curit�. Ce document tr�s bien inform� met en cause Paul Kagame, dans le pillage des ressources en R�publique D�mocratique du Congo (RDC), dans l�attentat contre le pr�sident Juvenal Habyarimana ainsi dans de nombreux autres crimes.
D�o Mushayidi a toujours milit� pour la paix et la r�conciliation entre Rwandais. Une d�marche que d�sapprouve totalement l�actuel gouvernement du Rwanda.

Hier, les Hutu �taient accus�s par Paul Kagame d�avoir � planifi� un g�nocide � contre les Tutsi. Aujourd�hui, mon ami Tutsi est accus� par le m�me r�gime de Paul Kagame de terrorisme et de n�gationnisme du � g�nocide tutsi �.
Pourtant, D�o Mushayidi n�a jamais tenu de Kalachnikov comme Paul Kagame,
il n�a jamais fait abattre un avion de pr�sidents comme l�a fait Paul Kagame,
il n�a jamais tu� ses collaborateurs comme l�a fait Paul Kagame,
il n�a jamais fait tuer ni Hutu ni Tutsi comme l�a fait Paul Kagame,
il n�a jamais pr�n� le s�paratisme entre Rwandais comme le fait Paul Kagame.
Il n�a jamais envahi la R�publique D�mocratique du Congo (RDC) et massacr� des millions de Congolais comme l�a fait et continue de le faire l�arm�e de Paul Kagame.
Il n�a jamais pill� la RDC comme Paul Kagame le fait depuis bient�t treize ans.
C�est pourtant D�o Mushayidi qui est d�sormais sur le banc des accus�s, que dis-je, dans le couloir de la mort � Kigali.

Et j�observe avec curiosit� mais espoir, l�enthousiasme pond�r� des m�dias internationaux � parler du sort r�serv� � D�o Mushayidi.
Je suis �tonn� du silence pesant de la Belgique, pays qui avait accueilli mon ami et qui lui avait accord� l�asile politique.
Je regarde, pensif, les gestes �triqu�s des organisations des droits de l�Homme promptes � harceler, sur ordre de Paul Kagame, de pr�tendus � g�nocidaires hutu �.
Prennent-ils peut-�tre mon ami Tutsi pour un pauvre Hutu qui m�rite, comme l�ancien pr�sident hutu du FPR, Pasteur Bizimungu, de dispara�tre en prison, pour pr�server cette bande de criminels au pouvoir � Kigali ?
Voient-ils aussi en Mushayidi un � g�nocidaire � ou un � divisionniste � et un � r�visionniste � ?
Puisque le r�gime dit qu�il est � terroriste � et tout cela � la fois, peut-�tre qu�il existe encore quelques �cervel�s pour le croire.

En r�alit�, mon ami paye pour sa collaboration � mon enqu�te sur l�attentat du 6 avril 1994, pour son implication dans le travail d�investigation qui a abouti au m�morandum de 2008 et pour ses prises de positions publiques, en tant que victime tutsi et ancien membre du FPR, contre le r�gime de Kagame.
Les charges de la dictature militaire rwandaise contre D�o Mushayidi rel�vent de la construction et de l�arbitraire.

Devant le consensus mou de l�Union Europ�enne, principal pourvoyeur de fonds publics au r�gime autocratique et r�pressif de Kigali, je voudrais encore croire, pour ma part, que mon ami ne restera pas tr�s longtemps ou pour toujours entre les mains du gang de la mort qui r�gne d�sormais sur le Rwanda et sur la RDCongo.

par Charles Onana

Auteur de:

- Les Secrets du g�nocide rwandais publi� en 2002 aux �ditions Duboiris avec la collaboration de D�o Mushayidi.

- Les secrets de la justice internationale, Paris, Editions Duboiris, 2005

- Ces tueurs tutsi au c�ur de la trag�die congolaise, Paris, Editions Duboiris, 2009.

Voir aussi:

�Foyal� pour D�o�

mars 30, 2010   2 Comments